mardi 30 avril 2013

The Land of hope - Sion Sono



Ecrit et réalisé par Sion Sono
Avec : Isao Natsuyagi, Jun Murakami, Megumi Kagurazaka
2h13
Sortie : 24 avril 2013

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Fukushima, mon amour


Le cinéma japonais diffusé en France en cette première partie de l’année sera marqué par Sion Sono,  mettant en avant le cinéma asiatique, de par la sortie en DVD de Love Exposure (réalisé en 2008) et la sortie au cinéma de The Land of hope, premier film sur Fukushima. Cette dernière œuvre, prouve avant tout que Sion Sono, en plus d’être cinéaste, est aussi un grand poète au charme discret et à l’imagination débordante.

Synopsis : Un tremblement de terre frappe le Japon, entraînant l'explosion d'une centrale nucléaire. Dans un village proche de la catastrophe, les autorités tracent un périmètre de sécurité avec une bande jaune qui coupe en deux la localité. Une sorte de ligne de démarcation absurde, entre danger bien réel et sécurité toute théorique. Au sein de la famille Ono, les parents, âgés, choisissent de rester. Leur fils et son épouse acceptent d'être évacués pour fuir la radioactivité…

Le titre, l’affiche, la bande annonce : tout pourrait évoquer un film catastrophe made in Japan. Film catastrophe qui non seulement est loin d’être le genre de prédilection de Sion Sono, mais aussi loin d'être le sujet du film. La famille Ono est une famille vivant paisiblement, comme une famille de Yasugiro Ozu. Jusqu’au tremblement de terre imprévu et la catastrophe nucléaire (ayant réellement eu lieu il y a tout juste deux ans, en mars 2011). Adapter un fait d’actualité célèbre signifie établir des recherches documentaires. C’est ce que fait Sion Sono, mais à toute autre finalité qu’un film documentaire. Le désespoir, la noirceur, ne sont pas les notions qui l'intéresse. En s’affranchissant des codes habituels du film post apocalyptique, Sion Sono réussit l’exploit d’exposer une tranche de vie d’une intensité émotionnelle rare, étalée sur plus de deux heures.

Toute catastrophe se vit ensemble. Malheureusement, la ligne imaginaire infranchissable qui va être établit par les autorités dessoudera la grande famille, avec d’un côté les parents, de l’autre les enfants et petits enfants. La quête du Pays de l’espoir commencera alors, et le jeune couple, avec la mère enceinte, devra affronter la radioactivité armés d’un compteur Geiger. L’aspect burlesque et comique du film surprend beaucoup, à tel point que nous rions aussi, d’un rire jaune, en voyant Izumi dans une combinaison contre la radioactivité ressemblant plus à une combinaison spatiale (des images que nous avons réellement vu à la télévision lors de l'événement). Il faut protéger le bébé, et rien d’autre. La télévision, elle, ne sert à rien. Il faut vivre au jour le jour, dans le cocon familial, en jouant, en riant, en faisant tout, sauf s’apitoyer sur son sort et tomber dans une grande dépression. 

En parallèle, nous suivons une autre histoire, un autre film : celui des parents, où la mère deviendra folle, en se mettant à marcher plusieurs kilomètres dans la neige et le grand froid, sans but précis. Cette puissante scène évoque un autre film apocalyptique récent, Melancholia de Lars Von Trier (2011). Le mari ne comprend pas sa femme, cherche à la comprendre, mais l’aime, quoi qu'il advienne. Jusqu’au climax final d’une beauté renversante, qui fera couler quelques larmes. Une petite histoire de petites gens (des agriculteurs) de la province japonaise affectée devient alors une grande histoire poétique, et non sentimentale. Signalons par ailleurs l’isolement du couple des parents, n’habitant plus sur une planète ressemblant à la Terre. 
Ce ne sont pas les décors qui intéressent le plus Sion Sono, mais bien l’atmosphère, n’étant pas radioactive à proprement parler : les gens sortent, cultivent, s’amusent. Ils sont irradiés, et alors ? C’est aussi une leçon de vie que nous offre le cinéaste, nous incitant à vivre avec celui ou celle que nous aimons, sans se préoccuper du monde. Morale très légère, pourrait-on dire, mais par le truchement de la mise en scène de Sion Sono, tout prend de l’ampleur. Un petit grand film, paisible, drôle, émouvant, irradié de bonheur.

Jeremy S.


Izumi Ono (Megumi Kagurazaka)

Yasuhiko Ono (Isao Natsuyagi)


dimanche 28 avril 2013

La Maison de la radio - Nicolas Philibert



Réalisé par Nicolas Philibert
1h43
Sortie : le 3 avril 2013

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Film en relief


Filmer la radio... Beau paradoxe et beau défi que se lance Nicolas Philibert. Durant six mois, le documentariste a posé sa caméra dans les locaux de Radio France. Entre directs, enregistrements d'émissions et reportages, Philibert donne un corps à ce média invisible qu'est la radio. Le film devient la jonction entre les deux formes physiques principales du cinéma : le visuel et l'auditif (bref, l'audiovisuel). 

Dès le début, Nicolas Philibert affirme la voix, et plus généralement le son, comme la matière même du film. En superposant différentes émissions de radios avant le générique, Philibert préface le projet esthétique du film. Le film échappe à un didactisme explicatif de mauvais goût et prend une forme, finalement, assez libre. Durant 1h43, La Maison de la radio présente une mosaïque d'émissions et de conversations. Cependant, le film ne manque pas de structure. Philibert monte son film au gré du rythme d'une journée, du matin à la nuit, et joue sur les effets de correspondances ou d'antagonismes dans l'enchaînement des scènes. Ainsi, l'indépendance des séquences trouve, grâce au montage, une forme d'unité à l'échelle du film. Mais cet aspect kaléidoscopique est à la fois la force et la faiblesse du film. Philibert se laisse parfois aller à un figuratisme platement illustratif. Le film, malgré sa forme réussie, manque d'engagement et laisse en sourdine les problèmes de fond qui auraient pu donner au film une dimension plus profonde (tel que l'ont fait Le Pays des sourds et Être et avoir).

La qualité majeure du film réside dans le traitement proprement cinématographique de la radio. Nicolas Philibert utilise avec une rare intelligence les effets de champ / contre-champ. Il nous rappelle que la radio n'est jamais qu'un champ / contre-champ, entre journalistes et auditeurs, qui se raccorde, non pas par l'image, mais par le son. Le film ne cesse de multiplier les situations dialectiques et dialogiques. Les jeux de correspondances et d'échos se multiplient entre ceux qu'on voit, ceux qu'on attend de voir et ceux qu'on ne verra jamais. Philibert donne à son film les qualités physiques du son : le relief. Peu de réalisateurs ont autant réussi à confondre le sujet filmé et la forme filmique.

Au fil de ses documentaires, Nicolas Philibert a développé un regard tendre et ironique sur ce qu'il filme. Dans La Maison de la radio, Philibert ne vole pas des fragments de réel. Il pose tranquillement sa caméra sur un pied, construit son cadre et laisse son sujet s'exprimer librement. Cadrés en plan serrés, des personnages haut en couleurs apparaissent et, comme il l'a toujours fait, Philibert révèle l'originalité et la beauté de chacun. Le sujet ne compte pas. Pas d’esbroufe. Les gens suffisent. 


La Maison de la radio rend visible l'invisible. Comme le disait Georges Braque : « Le vase donne une forme au vide, et la musique au silence. ». Beau traitement du silence dans le film. Lorsque tous les enregistrements cessent à cause du bruit des travaux à l'extérieur, ou quand la nuit hante les studios, Philibert montre que l'instrument de la radio n'est pas que la voix, mais aussi le silence. Il n'y de voix que parce qu'il y a du silence. Dans La Maison de la radio, comme dans le cinéma en général, l'image donne une forme à l'invisible, le révèle, mais préserve toujours sa part de mystère et de fascination.

Adrien V.

samedi 27 avril 2013

The Grandmaster - Wong Kar Wai



Ecrit et réalisé par Wong Kar Wai
Avec : Tony Leung, Zhang Ziyi, Jin Zhang
2h02
Sortie : 17 avril 2013

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Il était une fois le Kung-Fu


Le grand retour de Wong Kar Wai était autant attendu par les fidèles que par les gourmands d’action et de kung-fu. The Grandmaster, ou un électrochoc cinématographique vertigineux, redéfinissant le film de kung-fu en parasitant le genre sous plusieurs aspects pour donner à l’arrivée un film d’auteur poétique, jubilatoire, inoubliable.

Synopsis : Un récit de la vie d'Yip Man, maître légendaire de wing chun et futur mentor de Bruce Lee, dans la Chine des années 1930-40, et jusqu'au début des années 1950, lorsqu'il commence à enseigner son art à Hong Kong. Bouleversé par l'invasion japonaise, le pays traverse alors une période de chaos, qui correspond pourtant à l'âge d'or des arts martiaux chinois.

Wong Kar Wai nous avait quitté sur le mineur mais magnifique My Blueberry Nights (2007). Pendant cinq ans, le maître n’a pas chômé une seule seconde. Pendant cinq ans, Wong Kar Wai a minutieusement préparé un grand film ambitieux sur Ip Man. Ambitieux mais aussi culoté : raconter l’histoire d’Ip Man en succédant à Wilson Yip (Ip Man, 2008) ou encore Tsui Hark, cinéaste quasi innovateur du film de kung-fu (Il était une fois en Chine). Le projet de Wong Kar Wai avait donc de quoi effrayer. Mais la plus grande réussite de The Grandmaster n’est certainement pas dans cette prise de risque. Le film de kung-fu intéresse certes Wong Kar Wai, mais surtout Wong Kar Wai en tant qu’auteur.  
The Grandmaster n’est pas à proprement parler une fresque classique sur le maître du kung-fu, mais avant tout une locomotive émotionnelle lancée à plein régime pour immerger et entrainer son spectateur en obnubilant les nombreuses scènes d’action, par ailleurs extrêmement courtes. Courtes mais travaillées, sans alourdir l’atmosphère chaleureuse de tous les films de Wong Kar Wai. Si la première scène de combat a été tournée en dix nuits, elle n’occupera que cinq minutes au final cut. Wong Kar Wai ne surcharge pas son récit de scènes longues et épuisantes. La séquence du train, filmée au ralenti, offre un aperçu onirique du combat mené par la sublime Zhang Ziyi. Aperçu onirique bombardé d’effets numérique. Ce paradoxe est peut être le point le plus fort de The Grandmaster : beaucoup de séquences ont été réalisées par ordinateur (avec notamment des flocons de neige numérique), mais Wong Kar Wai parvient néanmoins à conserver son esthétique pure et artisanale (comme les plans se transformant en photo argentique). Une esthétique n’étant pas assuré par le directeur photo habituel (Philippe Le Sourd, qu'on pourrait classer dans une catégorie « B » face à Christopher Doyle ou Mark Ping Bing Lee).

Gong Er (Zhang Ziyi)

L’autre paradoxe de The Grandmaster pourrait se trouver dans ses personnages. Pour sa septième collaboration avec Tony Leung, Wong Kar Wai parvient à humaniser et à crédibiliser ses acteurs. Ce qu'il peinait à le faire dans Les Cendres du Temps (1996) ou 2046 (2004). Sa caméra frôle ses personnages, dans chaque scènes, rendant jouissif les scènes d’anthologies de combat extrêmement bien maitrisées, qu’on pourrait même qualifier de cultes. Par cela, Wong Kar Wai fait d’Ip Man un alter ego, et comme habituellement dans ses autres films, installe une voix off des plus séduisante.  Cette voix off est le moteur du récit, mais n’est pas entendue en continue sur les deux heures. Tous les éléments lourdingues d’un biopic académique classique, Wong Kar Wai les supprime ou les atténue, tout en donnant une richesse visuelle époustouflante à l’histoire d’Ip Man. Les intertitres, eux aussi, pouvant être des indications temporelles ou encore des poèmes, participent à la montée en puissance du récit. Montée en puissance, oui, c’est bien pour cela que Wong Kar Wai décide de débuter par une scène de combat : tout est dit dès la première séquence. Pas de longue exposition des personnages, pas de dialogues, mais de l’onirisme pur plaqué pour avant tout surprendre sans pour autant assommer son public. Certains loucheront devant ces fameux gros plans sur le plancher se brisant, mais ces quelques plans aléatoires donnent une dynamique folle au montage, évoquant les cinéastes soviétiques des années 1920.

L’on ressentira encore plus de plaisir en ne connaissant rien de l’histoire d’Ip Man. Rien n’est annoncé à l’avance : le dénouement, tout comme l’exposition, arrive brutalement et n’est pas étiré inutilement. Et pourtant, tout cette histoire dure deux heures. Deux heures intensives, deux heures jouissives. Mais non deux heures instructives. Même si The Grandmaster comporte quelques passages relativement flous, Wong Kar Wai amuse. N’est-ce pas beau de voir un grand cinéaste s’amuser ? The Grandmaster ne dégage quasiment aucun sérieux, et si à la base un film historique peut être prise de tête, The Grandmaster est aux antipodes de la prise de tête agaçante. 

Il était une fois le Kung-Fu. Finalement, c'est bien dans la lignée de Sergio Leone que nous pourrions classer ce Grandmaster (la musique signée Shigeru Umebayashi fait d'ailleurs plusieurs fois écho à celle d'Ennio Morricone). L'épilogue ludique final, avec un Ip Man en excellente santé, surprend mais amuse ("Et vous, quel est votre style ?"). Ce n'est pas Ip Man qui pose cette question, mais bien Wong Kar Wai, établissant la communication. Un grand maître, définitivement. 

Jeremy S.

Séquence d'ouverture

Ip Man (Tony Leung)

Gong Er (Zhang Ziyi) et The Razor (Chang Chen)


Quartet - Dustin Hoffman


Réalisé par Dustin Hoffman
Ecrit par Ronald Harwood
Avec : Maggie Smith, Tom Courtenay, Billy Connolly, Pauline Collins...
1h38
Sortie : 3 avril 2013

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Le Rigoletto* des anciens


Le double oscarisé Dustin Hoffman débute sa carrière de réalisateur à l’âge de 75 ans. Malgré une mise en scène plus que classique, Quartet puise sa force de la formidable histoire humaine menée avec passion par une tripotée d’acteurs anglais, à la filmographie plus qu’étoffée.


Synopsis : À Beecham House, paisible pension au cœur de la campagne anglaise qui accueille des musiciens et chanteurs d'opéra à la retraite, le bruit court qu'une nouvelle pensionnaire arriverait sous peu. Et ce serait une diva ! Pour Reginald, Wilfred et Cissy, le choc est grand lorsqu'ils voient débarquer l'impétueuse Jean Horton, avec laquelle ils triomphaient sur les scènes internationales des années auparavant. L'ambition de Jean et son ego démesuré avaient alors ruiné leur amitié et mis un terme au mariage qui la liait à Reginald. Malgré les vieilles blessures, Reginald, Wilfred et Cissy mettront tout en œuvre pour convaincre Jean de réformer leur célèbre quatuor à l'occasion du gala annuel de Beecham House.  

Passé un peu inaperçu du fait de la concurrence avec Effets secondaires de Steven Soderbergh et (malheureusement) de Perfect Mothers de Anne Fontaine, Quartet une comédie légère qui, même si elle n’est pas parfaite, fera passer un bon moment de cinéma. Démarrant comme une pure comédie à l’anglaise où la maison de retraite pour anciens musiciens et chanteurs ressemble plus à une cour d’école le film s’essouffle légèrement après l’installation de Jean Horton (Maggie Smith) qui fait basculer le film de la comédie rafraichissante à une comédie romantique un peu plus banale.

Si l’histoire et les acteurs font de Quartet un bon film, il est regrettable que Dustin Hoffman ne prenne pas plus de risque dans sa mise en scène. Au vu de son palmarès prendre quelques initiatives, même si elles s’avèrent mauvaises, n’aurait pas terni l’ensemble de son travail. Gros points positifs tout de même sur l’univers sonore que Quartet se crée. Il y a un jeu très intéressant sur le passage de sons extra-diégétiques à des sons diégétiques où l’intérêt devient très vite de savoir à quel endroit se trouve la source du son. Cet univers musical reprenant les opéras de Verdi, Puccini, Bach, Haydn (pour ne citer qu’eux) donne une atmosphère très divine. Cela est renforcé par le fait que tous les figurants et acteurs secondaires résidant dans cette pension étaient de réels musiciens ou chanteurs des plus grands opéras du monde.

Dans la 2nde partie du film, l’histoire se recentre sur le (ex)couple Jean Horton et Reggie Paget (Tom Courtenay). Malgré toute l’attention qu’ils prennent les personnages les plus intéressants sont paradoxalement Wilf Bond (Billy Connolly), un senior obnubilé par la gente féminine et particulièrement par le Docteur Lucy Cogan (Sheridan Smith), et Cissy Robson (Pauline Collins), une vieille dame atteinte de la maladie d’Alzheimer et pourtant pleine de vie.
Dustin Hoffman montre à travers ces 4 profils différents que la vieillesse fait toujours bel et bien parti de la vie et qu’elle peut être bien plus agréable que les autres grandes étapes importantes de la vie d’un Homme.

Le happy-end, quasiment obligatoire pour ce genre est l’élément le plus difficile à réaliser puisqu’il peut vite devenir très niais. Quartet se clôture certes de manière attendue mais prend le parti de rester dans la légèreté. Il ne lui manquait qu’un peu de folie de mise en scène.

Alexis D.


Cissy Robson (Pauline Collins) et Jean Horton (Maggie Smith)

Reggie Paget (Tom Courtenay) et Wilf Bond (Billy Connolly)

*Opéra italien de Verdi divisé en quatre tableaux (divisions d’une pièce).