mercredi 19 février 2014

Only Lovers Left Alive - Jim Jarmusch



Écrit et réalisé par Jim Jarmusch
Festival de Cannes 2013 - Compétition Officielle
Avec : Tilda Swinton, Tom Hiddleston, Mia Wasikowska...
2h03
Sortie : 19 février 2014

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En voie de disparition


Non primé ni même particulièrement remarqué au dernier festival de Cannes, le nouveau film de Jim Jarmush a pu sans nul doute décevoir grande quantité de ciné(vampiro)philes venus chercher le film sérieux, subtil, anti-démonstratif, justifiant la domination d'un grand cinéma indépendant américain sur les épouvantables productions hollywoodiennes vivement attirées par cet univers ces dernières années (saga Twilight, Daybreakers, Abraham Lincoln : chasseur de vampires, séries TV True Blood ou Vampire Diaries, etc.). Allier le style Jarmusch à un scénario traitant du vampirisme n'était pas un  défi gagné d'avance. Sous cet aspect, Only Lovers Left Alive comble les attentes des plus grands fans du cinéaste, mais rencontre certainement des difficultés à convaincre les plus sceptiques. 

Si les plus réticents à ce style racé y verront une déception ou un manque d'exploitation de d'idée, le film n'en demeure pas moins inintéressant, spécifiquement envers sa prise de risque scénaristique : raconter une errance, une fin du monde pour deux vampires ne prenant plus goût à la vie. Idée de court métrage rallongée sur cent vingt minutes ? Peut être, mais la recherche formelle et esthétique dans la caractérisation du milieu de ces deux entités sauve la catastrophe laissant poindre le bout de son nez les vingt premières minutes, pâle exposition en montage alterné ininventif et déjà épuisante par la pauvreté d'écriture des dialogues dont le but reste difficilement saisissable. 

Éve (Tilda Swinton) et Adam (Tom Hiddleston)
Le départ d'Éve (Tilda Swinton) de Tanger (Maroc) pour la ville de Détroit (États-Unis) où agonise le ténébreux et dépressif Adam (Tom Hiddleston) apporte ainsi une vraisemblance inattendue dans une histoire en apparence tout sauf humaine et psychologisante. Adam est un rocker nostalgique projetant de se suicider, ne passant plus que sa vie à écouter en boucle les vieux tubes rock des sixties. Le film est construit justement à l'image de la vie monotone d'Adam : lent, contemplatif, répétitif (le vinyl tourne, tourne, ne s'arrête jamais), mais manquant parfois d'immersion, synonyme de décrochage involontaire de la part du spectateur zombie (terme employé par Adam et Éve pour désigner les humains). Éve, de son côté, respire l'optimisme et semble apaisée dans sa vie marocaine, curieuse de suivre l'évolution du monde qui l'entoure, vivant avec le vieux Christophe Marlowe (John Hurt) perdant la notion du temps.  

Amoureux éternels, la ré-union d'Adam et Éve ne créera malheureusement rien de proprement nouveau ni même de bouleversant quand à leur conditions physiques ou morales actuelles. Jarmusch brasse ainsi de l'air, ne lorgne jamais vers un palpable conflit, et opte pour la seule puissance esthétique de ses beaux cadrages se révélant finalement vaine. C'est avec l'arrivée d'Ava (Mia Wasikowska) qu'Only Lovers Left Alive trouve finalement son ton juste, sa dose mesurée d'humour faisant mouche, et le commencement d'une chute vertigineuse qu'il serait criminel de spoiler. Ce troisième personnage renforce le monde à la fois vaste et clôt des deux protagonistes, le confrontant plus concrètement à l'humanité fantomatique et nous donnant à voir un véritable obstacle d'ordre vital, venant dynamiter l'équilibre ennuyeux installé préalablement. 

Plus qu'une balade glaciale et mélancolique de deux doyens de l'espèce disparue, Only Lovers Left Alive aspire finalement à quelque chose de plus ambigu, abstrait, où le message de Jarmusch se brouille dans les bons sens du terme. Cette dernière partie dans la ville de Tanger, moins bavarde et mieux rythmée, invite à une réflexion existentielle sur le devenir et le passé de cette espèce, rendu finalement attachante aux dépends d'une narration poussive, parfois sérieusement agaçante et vide de sens. De ce film à la fois beau, léger, mais aussi paresseux, un charme empoisonné s'en dégage néanmoins, le rendant parfois inconsciemment déroutant. 

Jeremy S.

Ava (Mia Wasikowska), Ian (Anton Yelchin), Éve (Tilda Swinton)