jeudi 20 novembre 2014

Eden - Mia Hansen Love



Réalisé par Mia Hansen Love
Écrit par Sven et Mia Hansen Love
Avec : Félix de Givry, Pauline Etienne, Vincent Macaigne, Greta Gerwig...
2h11
Sortie : 19 novembre 2014

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"To long, one more time"


Se sentir perdu tout en conservant ses propres repères. Savourer sa jeunesse comme un être ambitieux et pris dans l’engrenage, apprécier dignement ces cadeaux divins qui nous sont offerts, à portée de main, délivrant bonheur et tristesse : les filles, la musique, le tabac, la poudre blanche. Appartenir à un collectif, ne pas rester seul, ne jamais chercher à aller de l’avant mais simplement vivre les meilleurs instants d’une vie ; ne pas se poser de questions, fusionner son esprit avec son corps pour éviter les excès. Paul va vivre sa vie comme les autres personnes de son âge, bien que son activité passionnelle de DJ le maintiendra sous son emprise pendant plus d’une quinzaine d’années.

Le jeune homme ne cherchera nullement la porte de sortie. Au départ de la magnifique Julia (Greta Gerwig) pour l’autre côté de l’atlantique, Paul va se rabattre sur Louise (Pauline Etienne) et continuer à suivre une vie qu’il estime normale, agréable, sans la moindre ambiguïté. Il serait sévère de qualifier le scénario de Mia et Sven Hansen Love d’une banalité agaçante, inscrit dans un naturalisme peu assumé. D'autant plus avec Eden qui n’est autre que l’histoire du frère de la cinéaste, certes remaniée mais se voulant fidèle sans le moindre aspect documentaire. L’on connaît déjà le talent de Mia Hansen Love pour raconter de longues fresques - généralement en moins de deux heures - et se dressant fermement contre le modèle hollywoodien classique. Un amour de jeunesse et Tout est pardonné étaient du même acabit, narrant une longue histoire avec justesse, douceur et réalisme, recherchant de la beauté dans le naturel et des lumières dans un quotidien sombre et morose.

Paul (Félix de Givry) et Louise (Pauline Étienne)

Le temps passe dans Eden. Malheureusement beaucoup trop vite dans la première heure et demie pour que nous puissions saisir l’état mental de Paul, voire nous y retrouver comme la mise en scène semble l’indiquer. Soulignant exagérément ses ellipses, le film prend une lourdeur peu encourageante pour la suite. Le but de la jeune cinéaste étant clairement de laisser filer son conte de fées empoisonné comme une avalanche dévalant la pente que les skieurs ne parviennent à éviter. La solitude s’empare progressivement de Paul, ses amis disparaissent, réapparaissent, rigolent, pleurent, ou pire. Fort heureusement, le drame incontournable de tout scénario Hansen-Lovien ne sert pas cette fois-ci (du moins pas directement) d’aiguillage vers une deuxième partie prévisible et déchirante.

Ayons beau dire que le film porte pour sujet principal la French Touch, le discours ne semble jamais traduire un témoignage exhaustif de la génération correspondante. Précisément car la cinéaste isole le cas de Paul, ce dernier se faisant dépasser à toute vitesse par ses partenaires, avec une prise de conscience anormalement tardive. Si David (Vincent Macaigne) ne paraît ici nullement à sa place, on pourra relever un certain charme à observer ce personnage ne jamais prendre une ride pendant ces quinze courtes années, dans une sorte de contre courant générationnel. A défaut de ne pas forcer l’empathie pour Paul, le film ne parvient jamais à la hauteur attendue, comme avec un changement ou un revirement brutal de son comportement (peut-on vraiment penser à vingt deux ans comme à trente cinq ?) après sa rupture avec Louise. Eden reste les pieds enlisés dans un réalisme pouvant passionner pendant quatre vingt dix minutes, mais qui au grand jamais ne cherche à dépasser l’exploitation minimale de son potentiel. A l’image de cette sublime fin typique des films de la cinéaste, qui semble néanmoins résonner creuse tant le personnage de Paul (excellente interprétation de Felix de Givry) ne captive pas assez notre imaginaire de spectateur qui viserait en premier lieu à prendre sa place.

Ne boudons néanmoins pas notre plaisir pour une BO qui sonne déjà comme mystérieusement nostalgique, atteignant son point d’orgue avec ce lent panoramique floutée sur Within des Daft Punk. Eden manque de fulgurances et de scènes marquantes comme n’importe quel film sur la jeunesse pourrait goulûment en receler. La fresque et les personnages sont là. L’émotion, elle, peine à subsister, restant quelque chose d'éphémère dans cet œuvre personnelle possédant une thématique aux mille couleurs. 

Jeremy S.