Réalisé par Kelly Reichardt
Écrit par Jonathan Raymond et Kelly Reichardt
Grand prix du Festival de cinéma américain de Deauville (2013)
Avec : Jesse Eisenberg, Dakota Fanning, Peter Sargaard
1h52
Sortie : 23 avril 2014
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Les insurgés
« Écologie » n’a jamais rimé
avec « terrorisme ». C’est pourtant l’idée que défend Kelly Reichardt
dans ce quatrième long métrage lointainement voisin des trois précédents.
Casting de stars, sujet politique, scénario à suspense, Night Moves est pourtant un film s’inscrivant logiquement dans
l’œuvre de la cinéaste, en partie par son propos muant inlassablement tout au
long de l’aventure entreprise par ces trois jeunes écologistes environnementaux - dont les interprétations
se situent très largement au dessus du niveau de nos attentes – ne ressemblant
aucunement au grand film écolo de l’an passé (Promised Land de Gus van Sant) que ce dernier aurait pu nous
évoquer.
Josh, Dena et Harmon ont peu de choses en
commun, excepté leur détermination pour l’attentat nocturne qu’ils préparent,
entre frayeur et excitation : faire sauter un barrage hydroélectrique avec
un bateau servant de bombe. L’avant, le pendant et l’après attentat sont les
trois mouvements que Kelly Reichardt choisit de traiter. Trop ambitieux pour
une intrigue de base aussi pauvre ? La cinéaste, sortie maintenant de la
cour des petits, nous dévoile une étude psychologique introspective de l’humain
- post attentat – pour le moins bouleversante. Si la première heure de Night Moves paraît convenue, la deuxième
s’observe comme un virage brillamment négocié avec le relancement d’une
deuxième intrigue, la naissance de nouveaux conflits, la multiplication de
nouveaux obstacles insoupçonnés.
Josh (Jesse Eisenberg), Dena (Dakota Fanning), Harmond (Peter Sarsgaard) |
Le barrage dont nous parle Night Moves n’est en effet pas seulement
celui que l’équipe d’écolos choisi de faire sauter. À partir de cette scène
centrale, des frontières invisibles vont se créer entre les trois
mousquetaires, briser sèchement leur union déjà peu stable lors des préparatifs.
C’est du point de vue de Josh que Kelly Reichardt va décider d’observer la
suite des évènements. L’esprit communautaire de la première partie va ainsi
laisser place à l’esprit individuel, solitaire de la seconde. Un autre barrage
va se créer pour Josh, un barrage en son intérieur, dans sa conscience. Sans
abondamment surligner la grande instabilité de la situation dans laquelle se trouve Josh,
la mise en scène de Kelly Reichardt cherchera constamment à éviter un
naturalisme sous jacent, rendant à la fois son personnage attachant,
mystérieux, tout sauf impuissant.
C’est malheureusement dans son climax que
le potentiel du film se verra oublié et submergé par la volonté de la cinéaste
de se surpasser, d’ajouter des rebondissements inutiles à la finalité et au
destin de Josh. Climax qui par ailleurs ne rappelle aucunement ses œuvres
précédentes, se finissant dans l’attente, le recul ou le jugement d’une vie
passée. Abusant d’une écriture reposant sur le suspense, Reichardt perd
finalement de son talent pour l’évolution de son atmosphère propre, jamais
suresthétisée ni surjouée, nous amenant toujours à suivre avec un intérêt
constant le sort de ses personnages manipulés avec des pincettes.
Si dans son écriture et son casting Night Moves diffère sensiblement de Wendy et Lucy (2009) ou la Dernière Piste (2011), Reichardt nous
montre et nous traduit néanmoins toujours une caractéristique proprement
humaine, présente en nous depuis la naissance de nos ancêtres : les combats idéologiques,
d’abord contre les autres, mais aussi et surtout contre soi même.
Jeremy
S.
Josh (Jesse Eisenberg) |