Écrit et réalisé par Alfonso Cuarón
70ème Mostra de Venise - Film d'ouverture
Avec : Sandra Bullock, George Clooney, Ed Harris...
1h30
Sortie : 23 octobre 2013
-
La loi de l'attraction
⨻ Cet article dévoile des éléments clés de l'intrigue.
La Terre est là. Nous l’observons,
émerveillés comme les deux astronautes. Cette Terre nous semble à la fois
proche et lointaine, comme si nous étions dans un entre deux mondes. Le nouveau
film d’Alfonso Cuarón (réalisateur de l’excellent Les Fils de l’homme, 2008) est un ovni hollywoodien sorti non pas
de l’industrie mais bien des idées brillantes du cinéaste mexicain. A l’heure
d’aujourd’hui où la science fiction semble en perte de vitesse (mis à part le Star Trek Into Darkness de J.J Abrams), Gravity est une surprise des plus belles
de l’année 2013. D’un genre proche de celui de la science fiction, le film en
est cependant rigoureusement éloigné. L’expérience que nous fait vivre Cuarón
n’a encore jamais été vue, encore
moins vécue dans une salle de cinéma.
Deux gens bavards flottent dans l’espace,
en orbite, tentant de réparer un télescope. Le plan séquence d’ouverture de Gravity (durant près de quinze minutes)
restera un grand moment de la décennie : tel un satellite, la caméra survole
le vaisseau, prend du recul, et nous met littéralement la tête à l’envers, avec
une sensation de vertige des plus impressionnantes. Quatre ans après Avatar de James Cameron, la 3D semble à
nouveau retrouver sa puissance primaire : immerger et agripper son spectateur
sans contact physique avec la matière filmée. Nous pouvons aussi appeler cela,
plus simplement, le spectacle. Gravity
n’est pas un film à suspense, ni un divertissement, mais bien une expérience
cinématographique hors normes. Le pari réussi du film est bien de donner à
vivre, au grand public, une aventure inoubliable dans les étoiles traduite par
une mise en scène et un scénario d’une simplicité déconcertante. Nous pourrions
presque qualifier Gravity de
blockbuster minimaliste, si les nombreux effets spéciaux avaient été rendus
moins réalistes et bluffant. Tourné dans une boîte de trois mètres cube, lieu
de tournage minuscule, le résultat paraît infiniment grand et extraordinaire.
Le génie de la technique contemporaine s’accole directement à celui de la
narration rabotée intelligemment, comme si Cuarón ne voulait pas paraître plus
fort, plus malin qu’il ne l’est. Le scénario peut ainsi se résumer en une
vingtaine de mots : « Le docteur Ryan Stone et l’astronaute Matt
Kowalsky, suite à une tempete dévastatrice détruisant leur vaisseau, errent
dans l’espace. » Une errance, c’est précisément ce que raconte Gravity, en particulier celle de Ryan
Stone, à peine âgée d’une trentaine d’années et déjà face au couloir d’une mort
certaine.
Ryan (Sandra Bullock) et Matt Kowalsky (George Clooney) |
La fable existentialiste que soulève le
film ne se distingue pas immédiatement, mais devient par la suite la meilleure
façon de définir ce que vit Ryan. À l’intérieur de son scaphandre, nous sommes
Ryan. L’attraction à laquelle nous invite le cinéaste est parfois purement
ludique, mais aussi paradoxalement réaliste et effrayante. En plus d’être un
survival, Gravity ne revendique
jamais son appartenance à un genre prédéfinit : nous en revenons toujours
au spectacle, à l’attraction, à l’expérience.
En ce sens, Gravity ne possède pas d’antécédents. La comparaison avec 2001 : l’odyssée de l’espace est impertinente,
en partie à cause du côté mystique et fantastique totalement absent du film de
Cuarón. Gravity pourrait
effectivement se dérouler aujourd’hui. Si nous sommes subjugué par la plupart
des scènes, c’est d’abord grâce à la mise en scène du cinéaste sublimant cet
environnement. L’on retiendra la scène de tempête de météores, ou encore celle
de la rupture, qu’il serait injuste de divulguer. Si les quarante premières minutes
se déroulent à l’extérieur du vaisseau, l’autre partie du film nous y fait
pénétrer. Sandra Bullock flottant en petite tenue tel Sigourney Weaver dans Alien de Ridley Scott apparaît comme une
entité pleinement humaine et nourricière. Elle pourrait symboliser Ève, le dernier
espoir de renaissance. Un thème central de Gravity,
qui se présentera dans l’ultime partie : celle du retour sur la terre
ferme. La grande surprise du film, qui ne séduira probablement pas tout son
public. Au bout d’une heure quinze de projection, Cuarón souhaite nous faire
redescendre. Le final, époustouflant, demeure aussi terriblement inférieur au
reste du spectacle. La grosse machine hollywoodienne reprend possession du
corps du cinéaste, néanmoins sans l’engloutir totalement. L’empathie avec Ryan
s’étant développé précédemment, jusqu’à atteindre le stade de fusion
spectateur/personnage est donc parfaitement justifiable. Le plan de Ryan
rentrant dans le vaisseau, enroulée comme un fœtus, en plus d’être un clin
d’œil au géant (Stanley Kubrick) est aussi annonciateur de ce final laissant
perplexe. L’océan dans lequel tombe Ryan n’est autre que le liquide amniotique,
et sa remontée à la surface une symbolique de l’accouchement.
Cet aspect du film contraste brillamment
avec le réalisme de l’expérience qui nous est d’abord exposé. Si le cinéaste choisit
de ramener sur Terre son personnage, c’est aussi dans l’objectif de poétiser
cette aventure, briser les caractéristiques du survival, et bien entendu émerveiller
son public, comme la fin d’un opéra. Le dernier plan (évoquant quelque part
celui de The Tree of Life de Terrence
Malick), une contre plongée montrant Ryan se relever sur le sable d’un ilôt,
est un triomphe de la divinité mise sous veilleuse dans les autres parties. La
dimension métaphysique de Gravity,
aux antipodes de celle de 2001 :
l’odyssée de l’espace, émeut tout autant. Cette émotion, nous ne l’avions
pas ressenti depuis de nombreuses années.
Si Gravity demeure imparfait,
intriguant, ou encore légèrement trop court (deux heures avec plus de plans
contemplatifs dans l’espace n’auraient pas été de trop), il est aussi le
témoignage d’un renouveau du cinéma américain , ou plus généralement, d’un
grand pas en avant pour le septième art.
Jeremy
S.
Ryan Stone (Sandra Bullock) |