Réalisé par Pascale Ferran
Écrit par Pascale Ferran et Guillaume Breaud
Avec : Josh Charles, Anaïs Demoustier...
Festival de Cannes 2014 - Un Certain Regard
2h08
Sortie : 6 avril 2014
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Free Birds
Il n’est pas nécessaire de remonter bien
loin dans cette première partie de l’année pour y retrouver une œuvre tout
aussi subtile, émouvante et anticonventionnelle que ce Bird People. Aimer, boire et
chanter d’Alain Resnais serait l’autre film caractérisant le mieux cette
tendance particulière du cinéma français en ce début de siècle. À la différence
près que nous avons ici affaire à une cinéaste quinquagénaire, à la
filmographie peu fournie mais riche en surprises et grands films maîtrisés, qui
ont construit sa réputation comme l’une des plus grandes réalisatrices de sa
génération. Bird People ne peut se
classer dans une catégorie bien précise du cinéma français. Jouant sur
plusieurs registres, plusieurs genres, le film évite en permanence de se ranger
aux côtés de la comédie populaire, du drame naturaliste, ou même de l’œuvre
post nouvelle vague. Un objet hybride en somme, qui ne cesse d’étonner avec son
rythme à la fois véloce et soutenu sur plus de deux heures, dans un même
lieu auquel nous n’avons d’autre choix que de nous y adapter in medias res.
Scindé en deux parties, Bird People nous conte le destin de deux
personnages n’ayant à priori aucun point en commun excepté celui de rejeter
leur vie quotidienne monotone et routinière. Les premiers plans du film
dévoilent discrètement l’approche de Pascale Ferran pour ses deux protagonistes.
Nous faisant partager des monologues intérieurs de la population du RER, les
musiques écoutées secrètement par des casques audios, c’est à une certaine
perversion, entrée dans l’intime que nous invite la cinéaste. Gary est un
ingénieur informatique américain parcourant le monde dans les avions pour se
rendre à multitudes de réunions. Du jour au lendemain, cet homme décide de tout
abandonner, de tirer un trait aussi bien sur sa vie professionnelle que
familiale. Mais connaissons nous véritablement Gary ? Cette ambigüité et
ce doute sur les sentiments intériorisés de l’humain est ce qui fait la
principale force du cinéma de Pascale Ferran. Lorsque Gary observe un accident
de la route à l’arrière d’un taxi, rien n’est plus mystérieux et enfoui que les
torrents de pensées qui affluent dans son cerveau malade, menant à diverses
hypothèses sur la signification de ces carcasses. La communication est un
problème au coeur du film, non seulement entre le spectateur et le
protagoniste (que l'on observe comme une victime allant à sa perte), mais aussi
entre les personnages du récit. Un des micros climax de la première partie
se déroule dans la confrontation entre Gary et sa femme (une dispute conjugale
de haute envergure) à travers l’écran d’ordinateur portable. Dans ce faux champ
contre champ, ce n’est pas seulement un malaise qui s’installe, mais aussi un
questionnement fondamental sur les raisons de Gary, cette instance
transcendante qui le pousse à fuir sa vie, sortir des rails et s’envoler mentalement
comme physiquement vers d’autres contrées terrestres ou imaginaires.
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Gary Newman (Josh Charles) |
À cette première partie concrète - et
déjouant un piège du naturalisme - s’accole une deuxième partie aux antipodes,
d’un lyrisme et d’une abstraction folle. C’est l’histoire d’une jeune femme de
chambre, Audrey, magistralement interprétée par la fondante Anaïs Demoustier. À
plusieurs reprises, elle et Gary manquent de se croiser. Vont-ils finalement se
rencontrer ? Ce n’est pas la question que veut nous faire poser Pascale
Ferran. La question est d’ordre beaucoup plus complexe et imaginaire : que
se passerait-il si la liberté était offerte d’un seul coup, d’une seconde à
l’autre pour Audrey ? Jeune femme manquant encore de recul, Audrey n’évolue
clairement pas, à l’inverse de Gary, sur une pensée hédoniste visant à vivre sa
vie pour son propre plaisir, son bien être et non uniquement celui des autres.
En se transformant en moineau, le regard d’Audrey sur le microcosme de
l’aéroport Charles de Gaulle va radicalement changer et se métamorphoser en
observation quasi divine de la vie courante. Sur le plan formel, Bird People atteint ici des sommets. Les
plans fixes au sol laissent place à une caméra portée dans le ciel et en
plongée, où sa prise de liberté figure elle aussi celle d’Audrey. L’irruption
du fantastique au milieu de cette histoire tout ce qu’il y a de plus
« terre à terre » est aussi synonyme d’affranchissement des façades
qui nous emprisonnent au cœur de cet urbanisme étouffant. Ferran repousse ses
limites et laisse libre cours à son écriture, que l’on pourrait presque
qualifier par moments d’« automatique ». Comme dans Lady Chatterley (2006) le temps filmique
ne cherche pas à se substituer au temps réel tout en établissant une cohérence
narrative soulignée par ces nombreux fondus au noir, ne nous annonçant jamais à
l’avance la fin ou le début d’une autre séquence, d’autres actions. Bird People, dans sa forme, est aussi
imprévisible que passionnant et parfois drôle à suivre, comme en témoignent les
voix offs (du personnage ou parfois d’une voix inconnue, rappelant à l’évidence
le cinéma d’Alain Resnais) surgissant inopinément dans cet univers réaliste
sublimé.
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Audrey Camuzet (Anaïs Demoustier) |
Lorsqu’Audrey incarnée en moineau se rend
dans la chambre d’Akira, nous assistons à un échange des plus renversant du
film. Si la communication semble morte à tout jamais, et que les êtres humains
ne se regardent plus en face en ne s’adressant la parole qu'à travers les nouvelles
technologies, il subsiste encore les artistes comme Akira qui eux, cherchant à
comprendre autrement leur monde environnant, acceptent de communiquer avec
toute forme vivante. En dessinant Audrey « version moineau », Akira
extrait le naturel en même temps qu’une part de fantastique du monde contemporain.
L’analogie entre les avions de l’aéroport et les oiseaux du ciel n’est pas sans
nous rappeler les digressions poétiques d’Apichatpong Weerasethakul, cependant
dans un tout autre registre. Les oiseaux, en plus de se retrouver dans les
avions, se retrouvent finalement aussi dans l’être humain. Il n’est pas anodin
de constater que le costume de femme de chambre d’Audrey évoque discrètement
les couleurs du plumage d’une pie. Le plan cristallisant le mieux ces
reconnaissances serait donc celui du tapis roulant dans l’aéroport Charles de
Gaulle : dans ces quelques secondes où Gary, sous forme humaine, croise
Audrey dans son corps de moineau. Les deux êtres se regardent, Gary sourit, et
semble déjà familier avec ce petit oiseau croisant son chemin. Après être
resté enfermé dans sa chambre pendant plusieurs heures les yeux rivés sur son
ordinateur et son téléphone portable, Gary respire littéralement à la vision de
ce moineau humanisé. Il est lui aussi un bird
people, un oiseau prêt à s’envoler et non à suivre des miettes de pain sur
un chemin tout tracé comme le petit poucet. C’est cela que raconte l’un des
plus grands films de Pascale Ferran : obtenir sa liberté en faisant du mal
aux autres n’est pas une question d’éthique ni de morale, mais bien de la simple
recherche d’un plaisir vital pour l’homme : celui de se dévergonder d’un
monde contemporain peu ouvert sur le monde extérieur. Audrey et Gary sont des
fugitifs, en aller simple sur la voie du bonheur, suivant un trajet toujours plus agréable à
deux.
Jeremy
S.