Réalisé par Steve McQueen
Écrit par John Ridley
D'après le roman de Solomon Northup
Avec : Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Benedict Cumberbatch, Paul Dano...
2h14
Sortie : 22 janvier 2014
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Douleur dans la douceur
Choisir un tel
sujet pour un troisième long métrage est déjà en soit une preuve de confiance
de Steve McQueen en son talent révélé par les brillantissimes Hunger (2008) et Shame (2011). Même si 12 years
a slave a d’abord été réalisé en vu d’un hommage à sa famille, McQueen nous
assène une fois de plus une claque visuelle époustouflante, délaissant presque
l’histoire avec un grand H pour se concentrer sur sa mise en scène et ses
cadrages véhiculant toutes sortes d’émotions, la plupart restant difficile à
oublier quelque jours après la projection. L’entaille que nous incise le
cinéaste n’est pas à proprement parler douloureuse, mais orchestrée telle que
la plaie se formera au fur et à mesure du parcours de Solomon Northup.
Les séquelles
laissées par 12 years a slave sont
d’abord douces et sèches. En témoigne à l’évidence ces premiers plans sur les
champs de coton, filmés avec une caméra furtive et animale, venant sonder la
misère que l’on ne soupçonnerai pas vraiment dans cet environnement si paisible.
La grande force du film se situe en partie dans l’exposition de ces actions
terribles montrées avec un réalisme des plus fort, préférant opter davantage pour le
mouvement du champ que la forme de son cadrage. L’histoire de Solomon
Northup (interprété par l’excellent Chiwetel Ejiofor, en route pour l’oscar et
sévère concurrent pour Leonard Dicaprio), contrairement à ce que l’on pourrait
penser, n’est pas une aventure mobile soulignant une grande fresque. Peu de
lieux nous sont montrés, et ce précisément pour rendre l’univers filmique
délibérément clos, avec des barrières bloquant ces esclaves caractérisés comme
des bêtes. Le maître de Solomon est quant à lui un personnage ambigu,
subtilement enduit d’une double couche : celle de l’humain recouverte
par celle du bourreau.
Edwin Epps (Michael Fassbender), Patsey (Lupita Nyong'o), Solomon Northup (Chiwetel Ejiofor) |
12 years a slave joint ainsi les deux
grands rôles de Michael Fassbender des précédents films : la victime dans Hunger, le prédateur dans Shame. Les rapports de domination et de
soumissions traduits dans 12 years a
slave sont mis en scène comme pour nous retourner les tripes, nous faire
prendre conscience que ces faits ne résultent pas d’une simple séance de cinéma
mais bien de l’ancienne réalité, dont le côté documentaire n’est jamais
explicité. La véracité du plan séquence arrache et transperce notre attitude
face à ces esclaves, sans aucune complaisance de la part du cinéaste. Nous
ressentons les coups de fouet comme si une coulée de lave crépitait sur notre
peau, comme si finalement vivre n’était plus envisageable, mais seulement la
survie que craint terriblement Solomon Northup (« Je ne veux pas survivre,
je veux vivre »). Notons à ce propos que la violence montré n’a semble pas
dérangé outre mesure Sir Spike Lee, lequel avait osé critiquer Quentin
Tarantino pour Django Unchained. La
comparaison entre ces deux films n’est d’ailleurs pas inenvisageable, tant une
vision de l’auteur s’inscrit de façon grandement perceptible, évitant ainsi
toute distanciation entre l’histoire et son public. 12 years a slave est-il pour autant un film sentimental, dénué de
toute subversivité venant contrecarrer le propos de l’auteur ? Rappelons
qu’avec Steve McQueen, nous avons toujours été au cœur d’un cinéma classique
jamais hérité ni inspiré directement des plus grands, en partie car une
nouveauté est constamment recherchée, plus dans cette forme quasi contemplative
que dans ce scénario au final peu surprenant mais néanmoins d’une puissante
fluidité.
Outre la
violence ressentie, la dramaturgie est elle aussi d’une force sans merci. Les
deux heures quatorze sont aussi endurantes que passionnantes, et si nous
pensons à certains moments que la terrible vie de Solomon Northup touche à sa
fin, nous découvrons avec horreur qu’elle est finalement une amorce vers autre
chose de moins en moins humain. Le riche bourgeois Edwin Epps (Michael
Fassbender) va utiliser Solomon et Patsey comme ses animaux de compagnie,
l’apparence d’abord traversée par une bonne conscience. D’optimisme, le film en
est légèrement parcouru : les conversations entre Solomon et Patsey
(Lupita Nyong‘o), la rencontre avec Bass (Brad Pitt) comme la vie antérieure
aux douze ans de torture sont présentes davantage pour étayer l’idée d’un
espoir perdu et retrouvable qu’en guise de localisation hollywoodienne de la
production. Cette fin sera sujette à discussion, questionnant son utilité
ressemblant à un tire larme hollywoodien. Pourtant, cette dernière image nous
reste, peut être par le fait de voir cette famille de nouveau soudée, après
avoir passé plus de deux heures avec Solomon bien entouré mais demeurant
paradoxalement seul au monde. L’empathie dégagée par ce dernier plan en
troublera beaucoup, mais va-t-on au cinéma absolument pour être surpris,
maltraité, provoqué ? Steve McQueen ne cherche qu’une chose : nous
rassurer quant aux horreurs qu’il met en scène, se situant ainsi dans une
retenue et un style unique que l’on ne soupçonnerait pas dans cette œuvre, finalement
biconvexe, aux surfaces aussi douces que râpeuses.
Jeremy S.
Solomon Northup (Chiwetel Ejiofor) et sa famille |
Solomon Northup, Ford (Benedict Cumberbatch), Tibeats (Paul Dano) |