Écrit et réalisé par Alain Resnais
Avec : Sabine Azéma, Hippolyte Girardot, Sandrine Kiberlain, André Dussolier...
1h48
Sortie : 26 mars 2014
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Filmer, croire, et enchanter
« Aimer », « boire »
et « chanter ». Trois verbes respirant la joie, le plaisir de vivre
et un monde sans accrocs. Comme toujours chez Alain Resnais, ce n’est ni par
une caméra, ni par un propos que son cinéma atteint des moments de grâce
comique éblouissants, mais bien par ses acteurs, leur environnement et leur jeu,
qui depuis Mélo (1986) ou Smoking/No smoking (1993), ne semble
avoir subi aucune mutation.
Ce film qui succède à une œuvre majeure (Vous n’avez encore rien vu, 2012)
diffère cependant des autres, précisément car il n’aura lui même aucun
successeur. À l’image d’Éric Rohmer (dont le dernier film était perçu comme
mineur), cet artisan de la nouvelle vague clôt sa filmographie sur une comédie
« théâtrale » que l’on présuppose quelconque, mais qui en réalité,
par ses thèmes abordés et la fraiche vitalité qui s’en dégage, engendre de
grandes émotions terrassantes que peu de cinéastes contemporains ont su
atteindre en ce début de siècle. Le piège dans lequel aurait pu tomber Alain
Resnais aurait été la subtile comédie intellectuelle tamponnée nouvelle vague,
par conséquent ringarde et ennuyeuse pour le jeune public d’aujourd’hui.
La jeunesse qui se dégage d’Aimer, boire et chanter apparaît en ce
sens comme purement renouvelée et traversée d’influences appartenant aussi bien
au passé qu’au jour d’aujourd’hui. Les horloges ne sont jamais à l’heure pour
Colin (Hippolyte Girardot), le téléphone portable prend possession du corps de
Jack (Michel Vuillermoz) et le lâche difficilement. Des petits aléas de la vie
quotidienne qui passent sous le regard d’un vieil homme trouvant notre société
toujours aussi mystérieuse et bizarroïde. Ce Georges Riley que nous attendons
indéfiniment, gravement malade, semblant sur le point de mourir, n’est pas sans
figurer à l’évidence le vieil Alain. Dans ces petites scénettes traversant les
saisons, une atmosphère chaleureuse s’en empare, malgré l’absence de décors
étant représentés uniquement par des feuilles de papier colorées
« annonçant – littéralement - la couleur », et générant l'ambiance du moment.
Colin (Hippolyte Girardot) et Kathryn (Sabine Azéma) |
Les femmes, elles, paraissent encore plus
rajeunies que les hommes. Leurs caractères restant relativement proches, Tamara
(Caroline Silhol), Kathryn (Sabine Azéma) et Monica (Sandrine Kiberlain) vont
former une bande à part et entrainer les hommes dans un ballet en surplace, les
faisant jouer une véritable pièce et non celle qu’ils préparent hors champ. Ce
comique de vaudeville tire de sa drôlerie une autre essence propre au cinéma de
Resnais, venant rajouter une couche et améliorer sa mécanique si bien
élaborée : le monologue en gros plan, substituant l’arrière plan réel à un
quadrillage artificiel, renforce cette introspection et cette implicite
psychologie des personnage ressemblant souvent à des marionnettes guidées. Les
dialogues sont goulument versés et en deviennent aussi passionnant qu’une
réelle discussion de familles sur n’importe quel sujet. Car nous le découvrons
progressivement, le réel sujet enfoui d’Aimer,
boire et chanter porte sur la mort, l’angoisse de disparaître un jour avec
la frustration de ne pas avoir rempli toutes les cases. Le personnage de Monica
(Sandrine Kiberlain) symbolise la naïveté de toute jeune femme à choisir sa
voie, trouver son conjoint sans remettre les compteurs à zéro après la
relation. L’ironique Simeon (André Dussolier), d’un air grave, tente de lui
enseigner quelque chose qu’il n’a lui même, semble-t-il, jamais réellement
vécu.
Tout ce défilé coloré et ces performances
de jeu resteraient vaines si Resnais ne donnait pas un rythme subtilement
cadencé à l’ensemble du film. Par les routes, par les airs, nous nous
approchons du dessin d’une maison pour ensuite y pénétrer en prise de vue
réelle. Ces raccords présents pour les changements de séquences stimulent notre
intérêt pour l’observation de la scène, nous place du point de vue d’un
spectateur de théâtre et non de cinéma : rarement les personnages sur
l’écran auront à ce point été palpable chez Resnais, préférant le plan fixe et
une composition ultra minimaliste du cadre pour nous y confronter plus
facilement. L’apogée de ce dispositif, nous le retrouvons dans cette fameuse
soirée se déroulant hors champ, sous les yeux de Jack assistant, comme nous, à
une projection imaginaire, une image de sa conscience. Au fur et à mesure que
les saisons passent, le temps et les sentiments changent, pour finalement
atteindre un dénouement à la fois burlesque, naïf, d’une tristesse dans toute
sa retenue. C’est dans ce moment là qu’Alain est le mieux présent. Cet Alain
qui nous quitte avec une classe sans équivalent.
Jeremy
S.
Monica (Sandrine Kiberlain) et Jack (Michel Vuillermoz) |