Réalisé par Kiyoshi Kurosawa
Écrit par Kiyoshi Kurosawa, Sachiko Tanaka, Kazumi Matsuzawa...
D'après le roman de Rokuro Inui
Avec : Takeru Sato, Haruka Ayase...
2h07
Sortie : 26 mars 2014
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Celle qui voulait se souvenir
Atsumi et Koichi dînent à une table. Dans
une atmosphère discrètement chaleureuse, Atsumi dit à Koichi qu’elle ressent
l’impression « d’avoir toujours vécu ainsi ». Sommes nous dans une
romance fleur bleue signée de la plume du réalisateur de l’impressionnant Shokuzaï sorti sur nos écrans l’année
passée ? Tout en s’éloignant d’une radicalité et d’une froideur
caractéristique de ses précédents films (à commencer par Cure et Kaïro), Kiyoshi
Kurosawa nous livre un conte resplendissant visuellement, mais dont le fond et
le parcours semblent déjà éculés, comme si l’adaptation paraissait fidèle dans
un premier temps, faiblarde et académique dans un deuxième. Jouant sur la
distinction réel/imaginaire, le cinéaste brasse paresseusement son univers et
manque de susciter un questionnement essentiel sur ce qui nous est montré, menant
presque à un ressenti d’indifférence dans la première heure.
Real
n’est cependant pas un
échec de son auteur, même si l’on connaît et l’on apprécie les dernières
œuvres de sa filmographie distribuées en France. La fable de Kaïro (2001) se déroulait sur un modèle
apocalyptique après l’avènement de l’informatique et de son emprise sur la
jeune population, provoquant des suicides et des disparitions mystérieuses. Kurosawa maitrisait admirablement le registre fantastique et
rendait son style aussi contemplatif que complexe. Real, loin d’être un film d’une simplicité désarmante, ne paraît
jamais aussi prenant et profond que le propos de Kaïro. Même s’il faut reconnaître une certaine audace dans la
caractérisation des personnages de Real
(que ce soit Atsumi ou Koichi, les deux interprètes déploient un puissant jeu
d’acteur reposant sur le malaise et l’incapacité à vivre dans leurs mondes respectifs), les rôles de ces derniers apparaissent tous tracés et peine à varier
entre la première et l’ultime minute du film.
Atsumi (Aruka Ayase) |
Sommes nous dans la réalité ou dans la
conscience de son/sa bien aimé(e) ? Real
traite cette question sagement, ne créant que peu d’ambigüité dans l’univers
typique du cinéaste toujours aussi bien dessiné, relevant d’une beauté
esthétique des plus fortes dans le cinéma asiatique de nos jours (la ville, le
brouillard débouchant sur de grandes plaines vertes, l’apparition des fantômes
et des hallucinations…). Mais où retrouver l’aura mystérieuse planante de Kaïro, l’horreur stagnante de Cure, la nostalgie de Shokuzaï ? Real est pourtant une histoire d’amour, passée et présente, mais
dont le traitement manque constamment de détails et de pulsations nous
permettant de communiquer avec le film. Le scénario, quant à lui, ne propose
aucun détour, pas de hors piste ni même de lyrisme entièrement convaincant. Si
le dénouement a le mérite de surprendre, il ne se revendique jamais d’un
certain ludisme évident, évoquant par ailleurs la peur et l’angoisse enfantine,
comme un retour aux sources et enfin une plaisante variation de l’aspect trop
souvent grandiloquent du film. Kurosawa veut rester sur Terre, raconter une
belle histoire tirée, sans aucun doute, d’un excellent roman.
Il serait pourtant injuste de bouder
cruellement Real, logiquement
pour toutes ces raisons. Le cinéma de Kurosawa se veut ici moins hermétique et
plus occidental, élargissant son public et créant un lien solide avec tout
spectateur venu chercher un conte alliant histoire d’amour à science fiction,
réalisme à onirisme terre-à-terre. Perte d’atmosphère et de mise en scène
introspective, gain de dynamisme et de fluidité de l’intrigue, Real se classe à part dans l’œuvre déjà
grandiose du cinéaste, tout en maintenant un savoir faire que nous ne pourrions
devoir à certains des plus grands réalisateurs occidentaux. Kurosawa évite de
sombrer dans une piteuse naïveté et réalise une romance à portée universelle,
ni plate ni profonde, loin de toute prétention, à moitié bouleversante.
Jeremy
S.
Atsumi (Haruka Ayase) et Koichi (Takeru Sato) |
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