Réalisé par Paul Schrader
Écrit par Bret Easton Ellis
Avec : Lindsay Lohan, James Deen, Nolan Gerard Funk...
1h39
Sortie : 19 mars 2014
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Les déserteurs
La
compatibilité de l’écrivain Bret Easton Ellis avec le scénariste/réalisateur
Paul Schrader n’était pas assurée d’avance. L’échec monumental du Cartel de Ridley Scott l’an passé (écrit
par Cormac McCarthy) pouvait très bien se répéter. Loin d’être l’œuvre culte
sous entendue par la bande annonce et son casting, The Canyons peut tout de même se voir comme une critique virulente
envers Hollywood, ses démons, et l’occupation de jeunesse américaine
d’aujourd’hui. Lorgnant vers la fable noire 100% nihiliste, le film de Bret
Easton Ellis (car c’est clairement de son univers qu’il s’agit ici) assène une
atmosphère déprimante et glaciale dans un monde pathétique et régressif,
laissant transparaître une humanité gélatineuse faite de toc.
Tara
(Lindsay Lohan) mène une vie sans but : faire l’amour avec Christian
(James Deen) et Ryan (Nolan Gerard Funk) traduit l’unique moment où son
existence paraît trouver du sens. Se sentant utile et en adéquation parfaite
avec le désir des hommes, Tara est obsédé par cette idée d’un amour mort, dont
elle bavarde longuement avec sa copine Cynthia (Tenille Houston). Ces
conversations, agaçantes et stupides, appuient cet effet de déambulation en
spirale, où le parcours de chacun s’entrecroise sans pour autant provoquer de
violentes collisions. Ce que The Canyons
apporte de plus à la récente pitoyable adaptation de Roger Avary d’un roman
d’Ellis (Les lois de l’attraction),
est cette dramatisation des évènements amenée de manière angoissante, créant un
suspense précisément là où il serait impossible d’en donner naissance. The Canyons débute comme un grand film
d’atmosphère, dans un Los Angeles fantomatique où Hollywood brûle à petit feu. Par
une musique électro discrète et planante, Schrader introduit cet aspect à la
fois cool et terriblement vide de sens de la jeunesse américaine du siècle. Il
suffit de voir ces magnifiques plans sur Christian roulant dans son bolide, se
rendant chez Cynthia, et sortant de sa voiture en se prenant pour un dieu grec,
veste et jean noir avec lunettes de soleil assortis. Dès lors, si le regard
porté sur cette tranche d’âge paraît innocent et ridicule, la suite du film en
démontre pourtant le contraire, avec une insolence exposant une détérioration
progressive de l’âme de ces jeunes que nous suivons avec un profond sentiment
d’angoisse.
Gina (Amanda Brooks) et Ryan (Nolan Gerard Funk) |
Le
film aspire ainsi à la monstration d'une vérité, d'un témoignage propre et cohérent à
la vie réelle. Ellis n’a d’ailleurs pas l’ambition d’écrire un scénario aussi
littéraire que ses œuvres. Car la thématique du cinéma est bien entendu un
socle fondamental sur lequel se déroule cette odyssée cancérigène. The Canyons s’ouvre et se clôt par des
plans à l’esthétique très laide d’une salle de cinéma ravagée, dans un monde
post apocalyptique. Le sujet même de l’intrigue, quant à lui, parle d’un film
en devenir. On pourrait même y déceler une subtile mise en abîme lorsque
Christian annonce que l’humanité n’est qu’une foule d’acteurs jouant toutes
sortes de rôles, s’éloignant parfois lointainement de la personnalité propre à
chacun de nous. Cette croyance va ainsi mener Christian à changer sa fonction
vitale intrinsèque : ne voulant plus jouer l’acteur dans la spirale, c’est
le rôle du réalisateur que le jeune homme va chercher à atteindre, contrôlant
cruellement ses amis et sa fiancée, par son esprit hautain et supérieur. Ellis
justifie alors que cette humanité maladive qu’il décrit peut s’exacerber
jusqu’à devenir monstrueuse et d’une violence engendrée par le sexe et les
nouvelles technologies. Le personnage interprété par James Deen pourrait
d’ailleurs faire écho à celui de Robert de Niro dans Taxi Driver (écrit par Schrader), dans une époque contemporaine
mêlant sexe, argent et facebook.
Il
manque malheureusement à cette œuvre une mise en scène plus âpre et immersive,
afin d’impliquer davantage le spectateur étranger à la philosophie de
l’écrivain. Bien que cette esthétique propre nuance habilement les paroles et les
actions sales de l’entourage de Tara, un découpage moins saccadé aurait traduit d'une meilleure façon la lente évolution de ces personnages à peine perceptible. Toutefois,
qui de nos jours à la faculté de présenter cette vie mortuaire avec autant de
vérité, de violence et de tristesse ? Roger Avary et ses effets de style
outranciers ne produisaient que du faux, de l’ennui et un désintérêt total de
la théorie nihiliste de l’auteur. Puisse le tandem Schrader/Ellis répéter plus
habilement cette expérience aux bases solides mais à la réalisation passable,
pour enfin mettre en images dignement l’univers littéraire du grand monsieur.
Jeremy
S.
Tara (Lindsay Lohan) et Christian (James Deen) |
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