Réalisé par David Gordon Green
Écrit par Gary Hawkins
Avec : Nicolas Cage, Tye Sheridan...
1h57
Sortie : 30 avril 2014
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Sons of Texas
Mud
– sur les rives du Mississipi
de Jeff Nichols paraissait être, dès la sortie de la bande annonce de Joe, une des principales inspirations
et influences pour le neuvième film du jeune cinéaste à la filmographie
éclectique et peu convaincante. Moins d’un an après Prince of Texas (2013), Gordon Green continue l’exploration de cet État sous un autre angle, brut et violent, délaissant le côté comique et
poétique de son avant dernier film (hors des sentiers battus de la comédie
américaine et plus spécifiquement du « buddy movie » (film de potes)).
Gordon Green s’attache ici à nous
raconter l’histoire de deux hommes dont la condition sociale et la personnalité semblent en premier lieu diamétralement opposées. Sans surprise, Gary (Tye
Sheridan) et Joe (Nicolas Cage) vont s’associer et se compléter pour arriver
tous deux à leur but ultime : celui de « vivre » en paix en occultant les forces du mal omniprésentes dans le bayou. Le père de Gary en
est certainement la plus représentative, tant par la violence qui se dégage de
son personnage que par un jeu d’acteur poussé à l’absurde, terrifiant et
antipathique. L’alcool en est bien entendu le responsable, non seulement pour
la situation du père de Gary mais aussi pour celle de Joe, et plus généralement
de tous les habitants du village. Rongés et soumis à la boisson, ces derniers
(sur)vivent dans une atmosphère boueuse, noirâtre et sombre, dont la sortie
semble impossible. Joe est donc,
comme Prince of Texas, un huis clôt
étouffant reprenant pendant la totalité du film les mêmes lieux, les même
situations, et évitant subtilement la répétition mécanique des péripéties.
Joe (Nicolas Cage) et Gary Jones (Tye Sheridan) |
En prenant Gary sous son aile, Joe va
vite prendre conscience du sens même de sa triste existence. Sortant à peine de
prison, Joe rencontre de nombreuses difficultés à sa réintégration dans la vie courante, mais
parvient néanmoins à contrôler ses accès de violence fulgurants émanant de son
cerveau bouillonnant. Cette sublime scène où Joe se réfugie dans une maison de
prostituées pour retenir sa colère et son animalité fonctionne à double sens :
d’une part Joe s’acharne sexuellement sur une femme pour annihiler sa colère,
d’autre part il revêt un autre costume, celui de la victime faiblissant devant
sa raison, une sorte d’automutilation. Nicolas Cage obtient avec ce rôle l’un
des plus marquants de sa carrière jusqu’à aujourd’hui, cinquantenaire barbu au
bord du gouffre, dépressif et rendu fou par l’alcool (finalement un personnage
peu éloigné du Bad Lieutnant de
Werner Herzog).
À l’histoire
de Joe vient se greffer celle de Gary, adolescent cherchant à travailler et gagner sa croûte
dans l’objectif de sauver sa famille. Témoignant d’une rare maturité pour son
jeune âge, l’interprétation de Tye Sheridan témoigne ici d’une perfection
proche de celle du rôle d’Ellis dans Mud. Gary n’est pas un jeune homme de 15
ans, mais bien un adulte précoce défiant le caractère de Joe et étant
cruellement contaminé par toute la violence du village, corrosive comme une
forte maladie contagieuse. La place des femmes dans le film démontre assez
justement le côté animal du territoire, par leur présence peu soulignée, dont le
rôle demeure uniquement d’aider les bons face aux méchants. Le manichéisme
évident de Joe n’est autre que la
vision de Gary face aux aventures de Joe dont il reste d’abord exclu, mettant
le spectateur à la place de l’adolescent sans pour autant lui faire éprouver
une complaisance envers la situation de Gary. Car c’est de plainte et de rage
que le visage du garçon est souillé, et non de crainte et de peur comme un point de vue naturaliste aurait pu l'exposer.
Wade Jones (Gary Poulter) |
L’idée de l’échafaudage d’une tragédie
contemporaine, sans doute la meilleure de Joe, retombe malheureusement dans
un dénouement trop convenu lors des dix dernières minutes, anti spectaculaire
et se voulant réaliste, certes, mais poussant trop loin le curseur de la
vengeance empathique et désinvolte. Gary a bel et bien grandi et tiré des
leçons de son mentor Joe, mais n’était-ce pas aussi la finalité annoncée dès
les premières minutes, au moment de la rencontre des deux protagonistes ? La prévisibilité du scénario,
lorsqu’elle comporte autant de belles scènes que de surprises dans la
caractérisation de ces personnages, n’est en soit pas dérangeante. Quant à la
mise en scène de Gordon Green, brute et sèche, elle ne redore pas pour autant le blason du cinéma
indépendant américain de notre époque, comportant toujours de fortes qualités
mais manquant d’afficher un message plus fort et personnel pour des scénarios à
fort potentiels, comme l’étaient Mud
ou Shotgun stories de Jeff Nichols. Beau
numéro d’acteurs, sublime dépaysement des abîmes du Texas, Joe n’en demeure pas
moins plus classique que classieux, moins rude qu’il n’aurait du l’être sous la
caméra peu affûtée de David Gordon Green.
Jeremy
S.
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