Écrit et réalisé par Xavier Dolan
Prix du Jury - Festival de Cannes 2014
Avec : Anne Dorval, Suzanne Clément, Antoine Olivier Pilon...
2h18
Sortie : 8 octobre 2014
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Mother
Xavier Dolan, vénéré par le public
français depuis son deuxième film, n’avait pas été pronostiqué d’avance comme
le déclencheur du tsunami cannois il y a de cela six mois. Un cinquième film à
25 ans ne peut être qu’indubitablement l’œuvre d’un génie et d’un jeune
cinéaste (trop) ambitieux, qu’on le vante et l’apprécie, ou à l’inverse qu’on
le déteste et le méprise (ce qui fût mon cas à la vision de son 2ème
et 3ème film). Sort donc cette année Mommy, traitant encore une fois de la figure inépuisable de la
mère, durant plus de deux heures et montrant à l’écran un jeune adolescent au véritable
physique d’acteur encore inconnu dans notre pays (Antoine Olivier Pilon). Presse
et public avaient d’ores et déjà annoncé la consécration du jeune cinéaste pour
Laurence Anyways (2012) trois ans auparavant.
Mommy serait donc un cinquième film
dans la continuité des précédents, conservant son public fan et n’affichant pas
davantage d’inventivité pour les habitués. Que nenni. Véritable jalon dans la
carrière du québécois, ce grand film n’est finalement ni plus ni moins qu’un
aboutissement de son cinéma, fioritures et graisse des précédents films en
moins, avec une maturité renversante dans le propos et une mise en scène
excellemment novatrice pour un si jeune cinéaste.
Exit l’esthétique pop exacerbée des Amours imaginaires et le sérieux forcené
de Laurence Anyways. Mommy suit une
narration plus classique, se construit autour de grandes scènes d’intensité quasi
égales. Anne Dorval est maîtresse du film, comme Gena Rowlands l’était chez
John Cassavetes. L’hystérie de Mommy,
provoquée par les rapports qu’elle entretient avec son fils Steve ne se limite
jamais à un simple jeu d’acteur, un banal affrontement comme tout film traitant
de la période de l’adolescence. Elle est intrinsèquement liée à la mise en
scène de Dolan qui nous emprisonne, face aux visages de ces personnages aux
antipodes de l’archétype : Steve est un clown triste ravageur et violent,
Diane une fausse mère décérébrée à cause de la mort de son mari ayant du mal à
justifier l’amour pour son fils. Ce thème central du film revêt ici un
caractère agréablement singulier par son inconstance folle que l’on croit plus
d’une fois rétablie définitivement.
La grande force de Mommy est donc cette capacité à ne jamais montrer le chemin des
sentiments pour ses protagonistes, les laisser exister pleinement en roue libre
et ne jamais se ranger du côté de l’un d’eux. Cette hallucinante et sublime
séquence du rêve de Diane le prouve par son utilisation continue du flou
artistique. Ces personnages ne sont plus que des corps indéfinissables aux
mouvements imprévisibles, à l’humeur changeante d’une seconde à l’autre nous
empêchant de leur apposer une identité, une caractéristique émotionnelle qui
établirait finalement un trop fort
clivage entre les uns et les autres, qui masquerait tout le charme découlant
des plus violentes scènes provoquant un malaise certain, une position
inconfortable devant cet écran au format carré ressemblant à la fenêtre d’un
regard empreint d’une grande perversité. Ce procédé n’est par ailleurs
nullement verrouillé, et n’apparaît pas comme une marque de style auteuriste
pompeux comme il pourrait se laisser observer dès la scène d’exposition.
Déployer le format de l’écran par les mains de Steve est en ce sens l’une des
meilleures idées de Mommy : à
cet instant, les différents espaces extra et intra diégétique du film se
décloisonnent et témoignent d’une grande ouverture d’esprit du cinéaste envers
son public, la visée de son film et sa capacité à surprendre constamment sans
jamais ennuyer par ces dialogues québécois parfois trop bavards au sein de ce
sublime trio d’acteurs.
Nous sommes pourtant perdus dans un
tourbillon de situations rocambolesques, drôles et effrayantes dont le sens
peine parfois à émerger, semblant parfois peu réfléchies mais toujours
subtilement écrites. Les moments de grâce et les envolées lyriques qui
redonnent une bouffée d’air frais à Steve se retrouvent eux dans une poésie
pure se détachant de l’atmosphère sombre du film. Comme habituellement chez
Xavier Dolan, l’utilisation de nombreux morceaux musicaux très mainstream participe à cette croyance en
la libération de toute contrainte cinématographique, à l’abandon des règles
pour produire un flottement cotonneux dans l’univers réaliste où baigne Steve. Cotonneux car ce n’est pas à une suresthétisation que s’adonne Dolan, mais bien à
l’effacement de toute prétention, de tout regard narcissique de sa caméra qui
pouvait fortement se ressentir dans ces précédentes œuvres. La modestie de Mommy et son rythme effréné jouant sur
les registres dramatiques et comiques sur une aussi longue durée revigore notre
attachement au film, n’étant pas forcément pénétrable avec facilité à cause du
jeu typique des protagonistes, paraissant peu naturel mais finalement riche en
contradictions, en questionnement sur leur psychologie et leur attitude restant
au final mystérieuses mais assez proches pour enclencher ces geysers d’émotions
pures. Dolan a peut être réalisé un chef d’œuvre, mais a surtout fait ses
preuves pour les plus sceptiques d’entre nous, et annoncé par ce coup de maître
qu’il n’est pas prêt de se retrouver a court d’idées, ni de se décourager dans
l’exploration de son univers cinématographique novateur, nous le faisant
partager de manière très habile et absolument inoubliable.
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