Réalisé par Clint Eastwood
Écrit par Jason Dean Hall
D'après American Sniper : The Autobiography of the Most Lethal Sniper in U.S Military History de Chris Kyle
Avec : Bradley Cooper, Sienna Miller...
2h12
Sortie : 18 février 2014
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A true legend ?
Réaliser un film
de guerre en 2015 est une action trop facilement contestable dans la période sombre d'aujourd'hui. En faire une propagande est une chose aussi impardonnable qu’incompréhensible.
Les polémiques autour du nouveau film de Clint Eastwood, malgré son succès
pharaonique dans les salles américaines, n’ont pas fini d’accuser sauvagement
le médium cinématographique comme un outil politique, fiable et créateur
d’idéologies médiocres et incomprises.
Le républicain
est pour la guerre en Irak. Le républicain veut se battre. Mais la guerre
relève-t-elle d’une passion destructrice et complaisante dans sa manière
d’être ? En se focalisant sur la vie monotone et humainement vide du
sniper Chris Kyle, Eastwood s’attache à soulever les failles et dénigrer
l’héroïsme puant du pouvoir de « The Legend ». Quand John Ford
dressait un portrait réaliste et subjectif de la jeunesse précédant la gloire
d’Abraham Lincoln dans Vers sa destinée
(titre original : Young Mister
Lincoln, 1939), c’est une compréhension détournée et plus en profondeur
de l’élévation de la puissance d’un homme qu’il souhaitait nous faire partager.
Loin de l’idée développée par Clint Eastwood mais avec certains points
communs : le personnage de Chris Kyle apparaît clairement questionné,
mystérieux, courageux mais parfois faible et vulnérable, ne réussissant jamais
à mener la double vie qu’il s’est imposé.
Il y a l’avant.
L’engagement dans l’armée de terre, la rencontre de la poupée (Sienna
Miller) dans un bar, le mariage témoin de la nouvelle vie en rose auquel personne ne
croit vraiment. Ces instants idylliques sont parcourus comme l’on feuillette le
début d’un gros roman, sans détails ni volonté de nous exposer la psychologie
primaire du personnage, tourbillonnant dans un montage rapide et sec ne variant pas quand le film se transporte soudainement au front. Chris doit
combattre, tuer des enfants, tenter de sauver ses frères d’arme. Si la guerre
était une chose qu’il prendrait sérieusement, ce dernier ne contacterai pas
puérilement sa belle au téléphone sur le terrain de combat, ne le laisserait
pas tomber lâchement durant des fusillades. Tout cela pour accroître la peur de
Taya, lui faire vivre le massacre en temps réel, et ainsi faire du lieu de
l’affrontement la porte des enfers plutôt que le jeu vidéo auquel Kyle semble
appartenir, armoire à glace bodybuildé, au sourire angélique et terriblement
naïf, pouvant évoquer une variation de la brute épaisse qu’était Channing Tatum
dans le récent Foxcatcher.
La sécheresse de
la mise en scène participe activement à la construction d’une tragédie
certaine, instaure une atmosphère lourde et brumeuse sur les allers retours de
Kyle, cristallisée dans cette ultime séquence où il supprime avec facilité son homologue
irakien. Une facilité qui ne cesse d’effrayer, où le spectateur reste conscient
qu’au cinéma il est émouvant et malin de tuer brutalement un protagoniste.
« The Legend » ne rate aucune de ses cibles, mais pire, rate sa vie
sans inquiétude : lorsqu’il annonce à ses confrères que sa femme
préférerait toucher l’argent que vaut sa tête plutôt que lui-même, c’est avec
une attitude ironique et pourtant véridique que son visage s’exprime. Clint
Eastwood a assez montré l’horreur de la guerre dans la décennie qui a précédé (Mémoires de nos pères, Lettres d'Iwo Jima, 2006), assez assombri
ses tableaux pour ne pas vouloir refaire un énième film de cette classe. Aucunement
radical, jamais retranché derrière une vision plus pertinente qu’une autre, American Sniper fait preuve d’une grande
maturité dans son approche du conflit, mais surtout du guerrier qui, s’il
devait apparaître en héros, en serai un subtilement raté. Viser juste et bien,
servir son pays, ça ne suffit pas. Cette fin patriotique au possible ne doit
pas décevoir ni paraître ridicule à la vue de son sérieux quasi pompeux : elle doit questionner,
encore et toujours, le caractère orgueilleux et le non-sens du combat. Clint
frappe fort, non sans se faire lapider, tout cela pour un grand film, symbole
d’une époque étrange et absurde, par une plongée empathique aux côté d’un homme qui ne
semble plus se comprendre lui-même face à une violence d’une noirceur tout
sauf lumineuse.
Jeremy S.