Écrit et réalisé par Bruno Dumont
Avec : Juliette Binoche, Jean-Luc Vincent, Robert Leroy, ...
1h37
Sortie : 13 mars 2013
8/10
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Sculpter l'informe
Dans un cinéma français en manque
de courage artistique, partagé entre la comédie populiste et le film
d'auteur cliché labélisé Nouvelle Vague, Bruno Dumont s'impose face à
cette sclérose en proposant un cinéma d'une rare innovation, animé d'un
souffle de renouveau. Après l'hallucinant Hors Satan, Dumont revient sur
les écrans avec une courte évocation de la vie de Camille Claudel. Pour
la première fois, Dumont s'attaque à un personnage historique. Plutôt
habitué aux anonymes non-professionnel, Dumont s'octroie les services de
Juliette Binoche. A personnage notoire, actrice célèbre.
Durant
une heure et trente minutes, Dumont nous fait partager trois jours de
la vie de Camille Claudel, internée dans un asile psychiatrique depuis
deux ans. Le projet de Dumont n'est pas de filmer une vaste fresque de
la vie de l'artiste, mais de proposer une vision intime de Camille
Claudel dont le seul bonheur est d'attendre la visite de son frère Paul.
La première séquence révèle cette ambition du cinéaste. Des infirmières
donnent le bain à Camille Claudel. Le corps nu, la peau blanche, le
visage travaillé par la folie impriment chez le spectateur l'image d'une
artiste déchue et fragilisée.
Dumont enferme son film, comme
son sujet, dans les murs froids du couvent. Il décrit un quotidien sans
éclat où les teintes gris-marron de la photographie figurent une vie en
demi-teinte. Trop folle pour la réalité, pas assez pour l'asile, Camille
Claudel est dans une situation inconfortable. Tout est absence. Absence
de Paul Claudel, absence de l'atelier, absence d'écoute. Camille Claudel est une figure perdue dans un paysage
torturé.
Camille Claudel (Juliette Binoche)
Le couvent est un lieu partagé entre trivialité et spiritualité. Comme dans la plupart de ses films (La vie de Jésus, L'humanité, Flandres, Hors Satan), Dumont décrit un monde empreint de laideur, transcendé par une forme de spiritualité. Chaque personnage est partagé entre bestialité et grâce. Derrière le regard monstrueux des malades transparaît une forme supérieure de vie. D'ailleurs, qui est le malade ? Camille Claudel ou Paul Claudel, illuminé par sa foi et aveugle face à la misère de sa soeur ? Les personnages témoignent d'une vie psychique profonde et, plutôt que de l'exposer explicitement, Dumont, comme dans tous ses films, décalque cette spiritualité dans les paysages qui deviennent des paysages intérieurs.
Dumont cherche une matière première et imparfaite sur laquelle il vient tailler dans le vif pour en retirer la substantifique moelle. Au final, il ne reste plus que l'essentiel, plus que cet éclat prit dans le brut. Dumont est un cinéaste du dépouillement. La caméra ne s'arrête pas à l'apparence. Elle est le révélateur, comme chez Bresson, de l'âme du personnage. Elle vient illuminer les sujets qu'elle filme. Dumont attend. Il attend ce rictus, ce clignement d’œil qui viendra apporter la vérité tant désirée. Dans un monde où l'on veut jouir tout de suite et tout le temps, le cinéma de Dumont, cinéma de l'attente et de la grâce, est un défi, une révolution. Il est un moyen de méditation et de transcendance, une plongée intérieure, un moyen d'être.
Adrien V.