Écrit et réalisé par Arnaud Desplechin
d'après Psychothérapie d'un Indien des plaines de Georges Devereux
Festival de Cannes 2013 - Compétition Officielle
Avec : Benicion del Toro, Mathieu Amalric, Gina McKee, ...
1h56
Sortie : 11 septembre 2013
-
Thérapie amicale
Si le rythme de travail
d'Arnaud Desplechin est aussi long, c'est que le cinéaste ne cesse
de creuser son histoire, d'explorer tout ses personnages, d'en
connaître chaque recoin, encore et encore, jusqu'à l'épuisement du
sujet. Il aura fallut cinq ans au réalisateur pour explorer toutes
les richesses du roman de Georges Devereux Psychotérapie d'un
Indien des plaines, publié en
1951. Desplechin déclare « être devenu fou » du livre,
qu'il pensait adapter depuis longtemps. Si la psychanalyse n'est pas
un sujet nouveau au cinéma (on se souviendra de A
Dangerous Method de David
Cronenberg), son traitement est toujours complexe tant la matière
peut sembler abscons. Cependant, s'entourant de son alter ego Mathieu
Amalric et de Benicio del Toro, Arnaud Desplechin nous livre une
passionnante psychanalyse cinématographique de James Picard, vétéran
amérindien de la Seconde Guerre mondiale, en proie à des troubles
psychologique, par l’ethnologue Georges Devereux.
James Picard (Benicio del Toro) |
Ce
qui frappe tout d'abord, c'est le changement de ton par rapport aux
précédents longs-métrages de Desplechin. Là où le cinéaste
s'employait à des récits complexes et choraux, multipliant les
effets de montage et usant d'une mise en scène sur le vif, il filme,
dans Jimmy P., de manière plus épurée, plus apaisée, plus classique aussi. Certes,
les thèmes chers au réalisateur se retrouve dans Jimmy P. :
omniprésence de la mort, passé problématique, importance de la
famille, etc. Avec le même talent que dans Esther Kahn
ou Rois et Reine,
Desplechin fait preuve d'une très grande introspection et empathie
avec ses personnages. Cependant, le cinéaste perd quelque peu en
inventivité et originalité. En s'attachant trop à la relation
entre les deux personnages, Desplechin en oublie de souligner ces
rapports humains par la mise en scène. Parfois, le dialogue prend le
dessus au détriment de la forme. Heureusement, certains passages
révèlent une inspiration toujours présente, à l'image des très
belles scènes de rêve. Et c'est finalement en filmant la solitude
des personnages que Desplechin réussit le mieux. En séparant
Georges Devereux et James Picard, Desplechin met en exergue le besoin
de l'autre. Les deux ne s'inscrivent pas forcément dans un rapport
médical, mais dans un besoin mutuel d'humanité. Tous les deux
étrangers, Devereux et Picard trouvent en l'autre une oreille
attentive, un refuge, un apaisement des tensions, aussi bien pour
l'un que pour l'autre. C'est cela que montre le film : le chemin
de la guérison est aussi celui de l'amitié. Dans une psychanalyse à
double sens, ces deux îlots, en marge de la société, bâtissent
une relation non plus de médecin à patient mais d'égal à égal.
Georges Devereux (Mathieu Amalric) et James Picard (Benicio del Toro) |
C'est
alors que la mise en scène de Desplechin délaisse l’esbroufe pour
aller vers une neutralité de bon aloi. La caméra du cinéaste suit
Devereux et Picard dans une forme de pudeur, s'abandonnant à
l'histoire et non plus à la morale. Desplechin ne vient jamais
donner de leçon ou imposer des dogmes (du genre « la guerre fait
des dégâts chez les hommes »). Ce n'est pas ce qui
l'intéresse. Comme toujours, Desplechin est du côté des
personnages, un peu moins de celui de l'intrigue. Finalement, la
psychanalyse ne devient plus qu'un prétexte. Elle n'est que la
structure d'une relation incongrue, entre la vieille Europe et
l'Amérique originelle. Mais cet effacement s'avère problématique
quand il s'agit de donner à l'ensemble un caractère universel. A
trop s'enfermer sur ses deux personnages, Desplechin en oublierait
presque le spectateur qui peut parfois se sentir extérieur au film.
Nous sommes en empathie absolue avec ces deux héros, mais il demeure
comme un flou quant à leur contextualisation. Desplechin n'inscrit
pas assez son histoire dans l'Histoire, ce qui aurait donné une
perspective supplémentaire au film.
Jamais
ennuyeux, Jimmy P.
réussit ce pari de nous intéresser à une intrigue tournant autour
de la psychanalyse. Bien plus qu'un simple cours de psychanalyse, le film, porté par deux acteurs inspirés au jeu toujours
juste, séduit par sa sincérité et la sympathie indéniable que
porte le cinéaste sur ses personnages. Certes, Desplechin perd en
chemin de son originalité pour se tourner vers un certain
classicisme, mais jamais académique. On présent que ce film marque la fin
d'un cycle dans la filmographie d'Arnaud Desplechin. Le réalisateur
y semble plus serein, moins tourmenté qu'avant. Ce film pourrait
bien être une psychanalyse personnelle, comme si Desplechin
cherchait, tout comme Jimmy Picard, à se débarrasser de ses démons
pour explorer un langage plus apaisé. Affaire à suivre...
Adrien V.
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