Écrit et réalisé par Richard Linklater
Avec : Ellar Coltrane, Patricia Arquette, Ethan Hawke...
Berlinale 2014 - Ours d'argent du meilleur réalisateur
2h44
Sortie : 30 juillet 2014
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Remember Him
Représenter le temps au cinéma n’est plus
une idée novatrice aujourd’hui. Filmer un même acteur sur plus d’une décennie,
la saga Harry Potter en a habilement
montrée le charme et la faisabilité. Le tournage et l’idée originel d’un
« film fleuve » comme Boyhood,
si elles paraissaient originales et prometteuses d’une expérience inoubliable,
ne sont pourtant, dans un sens bien particulier, que peu à la hauteur de nos
attentes. Le chef d’œuvre annoncé est finalement sur l’écran quelque chose de
simple, à l’opposé de toute prétention, ne se prenant pas pour une pièce
maîtresse de la filmographie de Linklater. Avons nous affaire pour autant à un
petit film raté ? Nous en sommes loin, tant la modestie de Boyhood fait parfois surgir
l’incroyable, le magique que nous n’avons pas l’habitude de venir chercher dans
le cinéma indépendant américain de 2014.
La trilogie des Before du cinéaste (étalée sur près de vingt ans) traduisait déjà
ses folles ambitions avec une ampleur bouleversante : le passage du temps
dans la vie d’un couple en devenir, montrant par de grands dialogues le
questionnement existentiel – et la douleur de l’attente d’un futur imprévisible
– de Céline (Julie Delpy) et Jesse (Ethan Hawke). Le premier aspect frappant de
Boyhood se situerait donc déjà dans
cette négligence volontaire des partis pris formels : les sublimes
cadrages et champ/contre champ de Before
Midnight (2013) laissent ici place à une mise en scène plus brute,
hésitante, perdue dans un montage véloce en apparence bordélique mais d’une parfaite
cohérence.
Olivia (Patricia Arquette) et Mason (Ellar Coltrane) |
Boyhood est bien plus qu’une grande course la
montre cherchant à exposer douze ans de la vie de Mason (Ellar Coltrane), le
tout en moins de 2h45. La sensation étrange que nous ressentons, c’est celle
d’assister à un documentaire en cours de tournage, film aux genres hybrides
s’entrecroisant pour finir, au cours de la dernière demi heure, dans une
atmosphère fusionnelle de teen movie, docu-fiction, réflexion d’une simplicité
désarmante sur l’enfant cherchant une place dans son monde, avec angoisse, peur
et curiosité.
Précisons par ailleurs que cette
simplicité ne cherche au grand jamais son écho dans la « normalité »,
une volonté de réalisme bazinien à la neutralité bressonienne. Car Boyhood, outre sa prise de position et
manquant parfois d’affirmation, crée de la surprise voire de l’incompréhension
par son scénario enchaînant plusieurs vitesses supérieures dans la partie de
l’enfance de Mason. L’ironie et la violence qui se dégagent du deuxième mari d’Olivia
(Patricia Arquette) ne verse pas dans le sentimentalisme insupportable présumé.
Cette fameuse scène de repas familial nous inquiète, nous révolte. Pas
seulement pour notre empathie envers Mason, mais pour l’avenir de ces
personnages que nous essayons en vain de prédire avec plusieurs coups d’avance
lors d’une partie d’échecs. C’est naturellement que la vie de Mason se déroule
sous nos yeux, et ce n’est que rarement que nous pensons au moment présent, à
l’instant « t » de la vie du jeune garçon.
Le regard que porte Boyhood diffère en cela du cinéma classique d’aujourd’hui,
essentiellement par sa matière brute sortie tout droit – outre la qualité de
l’image – d’une pellicule super 8 comme un film de vacances sans discours, sans
vision d’auteur propre, d’une évidence rebutante mais toujours passionnante,
immisçant discrètement des souvenirs imaginaires tout au long du film : le
corps élancé d’Olivia, la voiture du père de Mason (Ethan Hawke), les cheveux
longs de ce dernier. Si le temps diégétique parvient si bien à se substituer au
temps réel, notre rapport et nos jugements sur cette tranche de vie évoluent en
permanence vers la recherche de notre identification à ces multiples
personnages fictifs. On pourrait presque y relever un petit défaut : trop
de personnages pour tous les goûts, en vue d’une ouverture à un public plus
large que celui des Before. Mais qu’importe
si ce Boyhood affiche moins de
radicalité et de dialogues intellos à la Eric Rohmer qui avaient pu infliger un
ennui sans nom à certains spectateurs. Il est une exploration minutieuse de
l’enfance, de l’adolescence, d’un jeune garçon que nous ne connaissons pas, et
ne connaîtrons sans doute jamais. Et qui pourtant nous semble si familier,
recelant de secrets inavouables, dans ces derniers plans respirant la nostalgie
d’une époque, d’une jeunesse, et surtout de notre attente avant de s’engouffrer
dans la salle de cinéma. Non pour y voir un banal film de 2h45 sur l’enfance,
mais bien douze années d’une vie ne pouvant que d’une façon ou d’une autre nous
évoquer la notre, si lointaine, si proche, passée, présente ou future.
Jeremy S.
Mason (Ellar Coltrane) et Mason Sr (Ethan Hawke) |
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