Écrit et réalisé par Nuri Bilge Ceylan
Palme d'or - Festival de Cannes 2014
Avec : Haluk Bilginer, Melisa Sözen...
3h16
Sortie : 6 août 2014
-
Scènes de la vie hivernale
2014. Les cent ans du cinéma turc. La
palme d’or cannoise revient à Nuri Bilge Ceylan, déjà maintes fois récompensé
par de grands prix dans ce même grand festival. Ne nous voilons pas la
face : Winter Sleep était cette
année là le grand film fleuve favori en compétition. Cela devrait-il pour
autant nous inciter à bouder devant cette œuvre volontairement grandiose et
magnifiante, ennuyeuse à mourir pour certains et fascinante à bien des égards
pour d’autres ?
Adapté de plusieurs nouvelles d’Anton
Tchekhov, Winter Sleep prend pour
point de départ une altercation des plus anodines dans les plaines
anatoliennes : un enfant, à l’aide d’un simple caillou, brise la vitre de
la voiture d’un riche maître d’hôtel. Cette agression entraine par la suite un affrontement
bien prévisible des classes sociales (vieux riches et jeunes pauvres, dans une
ambiance n’étant pas sans rappeler les temps Moyen Âgeux), mais aussi celui du
couple d’Aydin et Nihal, en bonne posture pour se retrouver face à leurs démons
intérieurs, révélés au grand jour. Ceylan met en scène plusieurs scénettes
bavardes mais lourdes de sens, évitant habilement tout manichéisme dans ses
propos par des diaolgues réflexifs et d’une philosophie sans complexe, à l’encontre
de tout didactisme pompeux. La lenteur de l’action se corrobore au passage du
temps à travers les saisons. Comme dans Les
Climats (2006), le cinéaste met en relation l’humeur de ses personnages
avec l’atmosphère extérieure environnante. La communion avec la nature
anatolienne est représentée ici de façon la plus naturelle qui soit, à travers
les vitres de l’hôtel, les yeux d’Aydin, les chevaux peinant à franchir des
cours d’eau. Film paisible mais non silencieux, cette dernière caractéristique
pointe clairement la démarcation du reste de la filmographie de Ceylan. Faisant
plusieurs fois échos à Scènes de la vie
conjugales d’Ingmar Bergman (1973), le cinéaste turc filme ses dialogues
par de puissants cadrages recentrant l’humain dans son monde intérieur, lui
apparaissant finalement hostile et peu accueillant.
Aydin (Haluk Bilginer) |
Cette longue dispute d’une trentaine de
minutes entre Aydin et Nihal - dans un clair obscur évoquant les plus grandes
peintures du courant - traduit à elle seule la maîtrise totale du cinéaste sur
sa grande histoire intimiste à raconter. Chaque scène de tirades du couple ne
paraît tenir que sur un équilibre prêt à flancher, à déchirer les âmes errantes
de ses personnages. Sans cette mise en scène proche de la perfection pure, nous
tomberions immédiatement dans du théâtre filmé sans grand intérêt. La
culpabilité refoulée, le matchisme, la compassion pour autrui honnête mais
incomprise sont autant de thèmes passés dans le scénario de Ceylan les traitant
subtilement en profondeur. L’ambition de chef d’œuvre qu’est le film en
démontre discrètement sa faiblesse. Par le rallongement de ces intenses
moments, il n’est pas exclut que son public perde le fil d’Ariane pourtant bien
facile à suivre dans ses origines, créant un solide lien entre nous et les
personnages, dans une empathie parfois peu évidente mais minutieusement mise en
place.
Difficile donc de trouver des défauts à
cette magnifique fresque, sans oublier que le cinéaste a toujours fait figure
de bon élève intouchable. Mais l’art n’est pas sans prétention, et il est préférable
de voir ce Winter Sleep nous faire
voyager par passion et parfois ennui, qu’une Vie d’Adèle à la mise en scène faiblarde et au parcours banal tout
sauf extraordinaire, un cinéma plus nombriliste qu’il n’y paraît. La neige
anatolienne est tout sauf une neige froide, tout comme le feu crépitant d’une
bougie dans ces espaces clôts ne dégage pas plus de chaleur. Avec son
esthétique oscillant entre ancien modernisme et nouveau classicisme, Winter Sleep immerge son public étranger
dans un monde inconnu, lui paraissant mille fois plus familier à la sortie du
tunnel des trois heures. Grand, beau, et turc. Un cinéma tout puissant non sans
préjugés ni faiblesses méritant amplement sa récompense tant attendue, qu’il
aurait aisément pu recevoir pour Uzak
(2002) ou Il était une fois en Anatolie (2011),
films plus radicaux et moins calibrés palme.
Jeremy
S.
Plaines anatoliennes |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire