Ecrit et Réalisé par Ari Folman
D'après le roman Le Congrès de futurologie de Stanislas Lem
Festival de Cannes 2013 : Quinzaine des réalisateurs - Film d'ouverture
Avec : Robin Wright, Danny Huston, Paul Giamatti...
2h00
Sortie : 3 juillet 2013
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Le Bal de l'actrice
Il aura fallut cinq ans au talentueux réalisateur iranien pour nous concocter l’après Valse avec Bachir (2008). Le Congrès, fruit de cinq années de gestation, n’est pas une suite conventionnelle dans l’œuvre d’Ari Folman. Ce n’est pas un nouveau film d’Ari Folman, mais un film d’un nouveau Ari Folman. Après la guerre au Liban, il s’attaque à un sujet tout aussi ambitieux, et bien plus casse gueule : l’acteur de cinéma. Pas de doute, l’image que nous nous sommes faite du réalisateur à la sortie de Valse avec Bachir sera à des années lumières de celle du Congrès.
Robin Wright (jouant son propre
rôle) se voit proposée d’un passage au scanner. La première moitié du film
explore cette idée, de sa naissance à sa concrétisation. Car Robin Wright va
mettre du temps à accepter une telle chose, n’étant autre qu’une mort
prématurée. Plus tard, les spectateurs continueront de voir Robin Wright à 40
ans, aux seins fermes, à la peau douce, aux yeux pétillants. « Nous voulons
posséder cette chose appelée Robin Wright » dit Jeff Green (Danny Huston),
embarrassé. Que deviendra alors la vraie Robin Wright ? Une sorte de femme
au foyer, qui s’occupera d’Aaron, son fils, dont le médecin (Paul Giamatti)
prédit qu’il deviendra sourd et aveugle. Cette première partie n’est pas de
l’anticipation : elle se déroule de nos jours. Folman construit dés lors
un espace vide, triste, où pas moins de dix personnes déambulent devant le
regard troublé de Robin. Les scènes dialoguées apparaissent comme des moments
de haute tension, où seule la voie du producteur Jeff Green et celle de
l’actrice résonne dans un abîme engloutissant littéralement toute
humanité : Miramount Pictures. Quelquefois, Folman sort les grands
violons, pour ne les faire durer que quelques secondes. Dans ce monde, la
musique est aussi éphémère que le sourire des personnages. Finalement, Robin
Wright se retrouvera coincée, avec d’un côté le refus d’exploitation de son
image, de l’autre le désir de soigner Aaron. Elle va alors conclure un réel
pacte avec le diable (Danny Huston évoque clairement Méphisto) et rentrer dans
la machine qui l’emprisonnera à vie. Arrive alors la scène centrale du Congrès, d’une puissance monumentale.
Scanner les différentes expressions, « échantillonner » Robin Wright,
sera une tâche difficile. Al (Harvey Keitel) tentera de raconter un évènement, directement
tiré de sa vie personnelle. Du fou rire aux torrents de larmes, Robin Wright va
ressentir en cinq minutes ce qu’elle pourrait ressentir en une
vie.
Robin Wright, l'échantillonage |
Robin Wright |
Jamais son interprétation n’avait atteint une telle
perfection, une telle émotion, un tel bouleversement. Durant ces plans, nous
arrivons à douter de Robin Wright. Est-elle dans la peau de son personnage, où
réellement dans la sienne ? En quelques secondes, Folman redéfinit la condition
et le squelette de l’acteur de cinéma. En écoutant l’histoire d’Al, il est
possible que nous ressentions la même chose que l’actrice. Folman abolit la
frontière acteur/spectateur, et nous hypnotise mieux qu’un bon magicien, à la
manière d’un Takovski (Solaris) ou
d’un Kubrick (2001).
Avons nous vu le meilleur du Congrès ? Cette partie du film, ne
durant en réalité que quarante cinq minutes, sera suivie par un déluge
totalement inattendu. Ce dernier nous entrainera au plus profond du vortex
imaginé par Stanislas Lem, l’auteur du Congrès
de futurologie. Folman n’a en effet décidé d’adapter que cette partie du
roman, la première étant donc écrite de sa main. Trente ans plus tard, Robin
Wright ira faire un tour dans la « zone d’animation ». Une attraction
future, similaire au Disneyland que nous connaissons aujourd’hui.
Nous pénétrons alors dans un
univers entièrement dessiné, extrêmement coloré, paradoxalement effrayant.
Folman redéfinit alors la science fiction à son goût, tout en gardant les
thématiques essentielles, nous rappelant parfois Donnie Darko (un film de SF
qu’il vénère). Robin Wright va découvrir mille autre Robin Wright, va se
perdre, se faire aspirer dans ce grand tourbillon où la plupart des habitants
lui sont hostiles. Ces habitants qui sont en fait des victimes de la terrible
illusion, où le spectateur de cinéma est remplacé par le réalisateur même. Dans
ce monde, tout est possible, tant et si bien que l’illusion se dissipera au fur
et à mesure du voyage et deviendra alors une véritable matrice. L’effet
d’hallucination qu’expose et produit Folman n’est en réalité que le fruit de
nous même, dans un univers d’une beauté anarchique. Intéressante oxymore, déjà
présente dans Valse avec Bachir avec
cette fameuse scène de soldats nus sortant de l’eau.
Robin Wright et Jeff Green (Danny Huston) |
Robin Wright |
Le Congrès s’impose comme une œuvre visionnaire. Le film
d’animation, nous le découvrirons par la suite, est inclue dans le monde réel,
à l’inverse de ce que nous pourrions imaginer quand Robin Wright se retrouve
prise au piège. Car pendant plusieurs décennies d’exil, elle n’oubliera jamais
sa Terre natale, surtout ses enfants. Folman choisit de conclure avec un retour
à la réalité des plus terrifiant, comme il l’avait brillamment fait surgir par
surprise dans Valse avec Bachir.
Robin Wright a changé, l’actrice est devenue une clocharde que personne ne
reconnaît. Avec le recul, elle regrettera finalement son geste, celui d’avoir
abandonné le monde animé. Le spectateur aussi, qui aura vécu durant ce moment
une jouissance extrême devant cette déflagration de couleurs, d’émotions,
atteignant son apothéose avec Forever
Young chanté par Robin Wright elle même.
Absent de la compétition
officielle cannoise, Le Congrès est
un chef d’œuvre passé quasi inaperçu sur la croisette. Artiste visionnaire, Ari
Folman confirme sa maîtrise incroyable du film d’animation, et démontre par
ailleurs ce dont il est capable avec un sujet mis en abîme, où l’acteur n’est
plus, où l’humain survit. L’iranien a su s’imposer, nous bluffer, et nous
mettre au tapis face à une expérience enivrante d’une ampleur démesurée.
Jeremy S.
Robin Wright |
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