Réalisé par Steven Spielberg
Ecrit par Tony Kushner, John Logan et Paul Webb
Avec : Daniel Day Lewis, Tommy Lee Jones, Sally Field...
Musique Originale : John Williams
2h29
Sortie : 30 janvier 2013
8/10
-
United
Lincoln, Spielberg, Day-Lewis, et la critique pourrait
s'arrêter là. La nouvelle production du papa d'E.T a tout de l'écrasante
moissonneuse-batteuse à Oscars (et gageons que Spielberg ajoutera quelques
statuettes de plus à son impressionnant tableau de chasse). Doublé d'un sujet
plus-américain-tu-meures, Lincoln est la grosse bête cinématographique et
commerciale de ce début d'année. Tout est dit.
Et pourtant, c'est Spielberg. Alors, tout n'est pas dit.
Bien au contraire. Qu'on le conspue ou qu'on le vénère, qu'on le compare à Luc
Besson (pitié !) ou qu'on l'ajoute à la liste des plus grands réalisateurs
américains de tous les temps, il est impossible de passer à côté de Spielberg.
Absolument partout depuis les années 70, l'écrasante stature du réalisateur
plane sur le tout cinéma hollywoodien. Toujours à l’affût de la bonne
production, Spielberg semble avoir trouvé le sujet idéal avec Lincoln. En ces
temps de crises aux États-Unis, rien de tel qu'un bon vieux film
historico-patriotique made in Hollywood pour vous rappeler les bonnes vielles
valeurs démocratiques et libérales de ce cher pays (vous n'échapperez pas au
speech final moralisateur sur fond d'envolée lyrique de cor). Le film de
Spielberg vient alors nous montrer le combat acharné de Lincoln pour abolir
l'esclavage et mettre fin à la guerre de Sécession. Vu comme cela, le film a
tout du soporifique biopic didactique. Sauf que derrière tout ça, il y a un
grand nom. Spielberg, en plus d'être un excellent commercial, est un immense
réalisateur. Alors, qu'est-ce qui différencie un cours d'histoire filmé d'un
bon biopic ? Le point de vue. « Diantre ! Mais Spielberg serait
un auteur ?! ». Trois fois oui ! Spielberg est l'un des plus
grands auteurs du cinéma hollywoodien et sa filmographie fortement cohérente
entretient un rapport intime avec les États-Unis.
En débutant son film par une scène de bataille et en multipliant d'entrée les conflits (Républicain / Démocrates, Nord / Sud, Blanc / Noir), Spielberg fait le constat d'une Amérique déchirée, au bord du gouffre. Lincoln, interprété avec sobriété et intériorité par le remarquable Daniel Day-Lewis, s'impose comme l'homme rassembleur. Les deux combats qu'il mène de front ont avant tout pour but de réunifier une Amérique en proie aux divisions. L'abolition de l'esclavage devient « le remède » à la guerre de Sécession. Pour cela, Lincoln est prêt à tout, y compris à corrompre des voix démocrates. Spielberg ne demeure pas naïf. Les États-Unis se seraient-ils construits sur la corruption ? A l'heure où l'argent achète tout et où les démocrates sont au pouvoir, Spielberg regarde le passé pour mieux interroger l'avenir. Lincoln n'est pas un héros 100% positif. Certes, ses intentions étaient plus que louables, mais à quel prix. Spielberg parvient à une étonnante maturité avec un tel sujet qui aurait pu vite tourner au pamphlet pro-américain.
C'est bien de politique dont il est question. De magouilles,
certes, mais aussi de combats, de convictions, de rassemblement. Tout est
politique, y compris dans la famille de Lincoln : le fils aîné veut
s'engager mais n'a pas l'accord de papa, le fils cadet, fasciné par papa, revêt
tout le temps l'uniforme militaire. Arrêtons-nous un instant sur l'aspect
intime et familial du film. Ce n'est pas ce qui intéresse le plus Spielberg,
mais il traite avec beaucoup d'adresse les relations inter-familiales. Que ce
soit entre Lincoln et sa femme, soutien indéfectible et parfois divergeant,
avec son fils aîné, source de conflit ou avec son fils cadet, source de
tendresse paternelle, Spielberg sait poser une caméra douce et chaleureuse sur
l'homme d’État. Mais l'enjeu du film n'est pas là, fort heureusement ! Rien de plus
pénible qu'un biopic qui s'acharne à nous démontrer qu'en fait, les
personnalités politiques sont aussi des être humains (ça alors!) avec des
sentiments (cf. La Dame de fer). Spielberg a des ambitions bien plus hautes.
Lincoln, plus qu'un être humain, devient un homme-État. Lincoln, c'est les
États-Unis et vice-versa. C'est un homme fédérateur à l'image des nombreuses
boutades qu'il lance aux soldats, à ses conseillers, aux politiciens, aux
agents du télégraphe. Le rire rassemble. Présent dans toutes les strates de la
société, Lincoln unifie le peuple américain autour de sa personne et de ses
valeurs. Et c'est en cela que Lincoln pose le symptôme du film américain.
Depuis le western et la comédie musicale, l'industrie cinématographique
américaine n'a cessé de produire des films faits pour rassembler le peuple
autour de valeurs communes. Le cinéma américain s'échine à définir l'identité
américaine pour former une communauté unie (on retrouve déjà cela dans La
Naissance d'une nation de D. W. Griffith, 1915).
Et si Spielberg commence son film par une carte des États-Unis divisée en deux entre Nordistes et Sudistes, c'est pour mieux finir sur l'image d'une lampe à pétrole où le verre de forme ronde signifie l'unification parfaite. A cette image en succède une autre par fondu-enchaîné, où Lincoln se retrouve au milieu de son peuple faisant un discours.
Spielberg ne montre pas la mort de Lincoln. Il ne peut pas.
Se serait démentir tout ce qu'il a construit tout au long du film. Si Lincoln
est l'incarnation des USA, les USA ne peuvent pas mourir. Lincoln ne meurt pas,
il laisse la place. Aux États-Unis, il n'y a pas de morts mais des générations
qui passent, chacune avec son lot d'idées et d'innovations. Lincoln cède la
place aux nouvelles générations à qui il semble s'adresser dans son discours
final. C'est aux citoyens de demain de construire le monde avec, pourquoi pas,
le droit de vote pour les Noirs dans 100 ans, comme l'espère Thaddeus Stevens
(impressionnant Tommy Lee Jones).
Sous ses apparences de gentil biopic bien fait, Spielberg
nous livre un Lincoln déroutant, d'une très grande profondeur et d'une maîtrise
certaine. Spielberg ne se limite pas à son sujet et, en parlant de Lincoln, il
parle des États-Unis, d'hier et d'aujourd'hui, de la naissance d'une nation
qui, aujourd'hui encore, est en perpétuelle quête d'identité et d'unité.
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