Réalisé par Nicolas Philibert
1h43
Sortie : le 3 avril 2013
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Film en relief
Filmer la radio... Beau paradoxe et
beau défi que se lance Nicolas Philibert. Durant six mois, le
documentariste a posé sa caméra dans les locaux de Radio France.
Entre directs, enregistrements d'émissions et reportages, Philibert
donne un corps à ce média invisible qu'est la radio. Le film
devient la jonction entre les deux formes physiques principales du
cinéma : le visuel et l'auditif (bref, l'audiovisuel).
Dès le début, Nicolas Philibert affirme la
voix, et plus généralement le son, comme la matière même du film.
En superposant différentes émissions de radios avant le générique, Philibert préface le projet esthétique du film. Le film échappe à
un didactisme explicatif de mauvais goût et prend une forme,
finalement, assez libre. Durant 1h43, La Maison de la radio présente
une mosaïque d'émissions et de conversations. Cependant, le film ne
manque pas de structure. Philibert monte son film au gré du rythme
d'une journée, du matin à la nuit, et joue sur les effets de
correspondances ou d'antagonismes dans l'enchaînement des scènes.
Ainsi, l'indépendance des séquences trouve, grâce au montage, une
forme d'unité à l'échelle du film. Mais cet aspect kaléidoscopique
est à la fois la force et la faiblesse du film. Philibert se laisse
parfois aller à un figuratisme platement illustratif. Le film,
malgré sa forme réussie, manque d'engagement et laisse en sourdine
les problèmes de fond qui auraient pu donner au film une dimension
plus profonde (tel que l'ont fait Le Pays des sourds et Être
et avoir).
La qualité majeure du film réside
dans le traitement proprement cinématographique de la radio. Nicolas
Philibert utilise avec une rare intelligence les effets de champ /
contre-champ. Il nous rappelle que la radio n'est jamais qu'un champ
/ contre-champ, entre journalistes et auditeurs, qui se raccorde, non
pas par l'image, mais par le son. Le film ne cesse de multiplier les
situations dialectiques et dialogiques. Les jeux de correspondances
et d'échos se multiplient entre ceux qu'on voit, ceux qu'on attend
de voir et ceux qu'on ne verra jamais. Philibert donne à son film
les qualités physiques du son : le relief. Peu de réalisateurs
ont autant réussi à confondre le sujet filmé et la forme filmique.
Au fil de ses documentaires, Nicolas
Philibert a développé un regard tendre et ironique sur ce qu'il
filme. Dans La Maison de la radio, Philibert ne vole pas des
fragments de réel. Il pose tranquillement sa caméra sur un pied, construit son cadre et
laisse son sujet s'exprimer librement. Cadrés en plan serrés, des
personnages haut en couleurs apparaissent et, comme il l'a toujours
fait, Philibert révèle l'originalité et la beauté de chacun. Le
sujet ne compte pas. Pas d’esbroufe. Les gens suffisent.
La Maison de la radio rend visible
l'invisible. Comme le disait Georges Braque : « Le vase
donne une forme au vide, et la musique au silence. ». Beau
traitement du silence dans le film. Lorsque tous les enregistrements
cessent à cause du bruit des travaux à l'extérieur, ou quand la
nuit hante les studios, Philibert montre que l'instrument de la radio
n'est pas que la voix, mais aussi le silence. Il n'y de voix que
parce qu'il y a du silence. Dans La Maison de la radio, comme dans le
cinéma en général, l'image donne une forme à l'invisible, le
révèle, mais préserve toujours sa part de mystère et de
fascination.
Adrien V.
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