Ecrit et réalisé par Wong Kar Wai
Avec : Tony Leung, Zhang Ziyi, Jin Zhang
2h02
Sortie : 17 avril 2013
-
Il était une fois le Kung-Fu
Le grand retour de Wong Kar Wai était autant attendu par les
fidèles que par les gourmands d’action et de kung-fu. The Grandmaster, ou un électrochoc cinématographique
vertigineux, redéfinissant le film de kung-fu en parasitant le genre sous
plusieurs aspects pour donner à l’arrivée un film d’auteur poétique, jubilatoire, inoubliable.
Synopsis : Un
récit de la vie d'Yip Man, maître légendaire de wing chun et futur mentor de
Bruce Lee, dans la Chine des années 1930-40, et jusqu'au début des années 1950,
lorsqu'il commence à enseigner son art à Hong Kong. Bouleversé par l'invasion
japonaise, le pays traverse alors une période de chaos, qui correspond pourtant
à l'âge d'or des arts martiaux chinois.
Wong Kar Wai nous avait quitté sur le mineur mais
magnifique My Blueberry Nights
(2007). Pendant cinq ans, le maître n’a pas chômé une seule seconde. Pendant cinq ans,
Wong Kar Wai a minutieusement préparé un grand film ambitieux sur Ip Man. Ambitieux
mais aussi culoté : raconter l’histoire d’Ip Man en succédant à Wilson Yip
(Ip Man, 2008) ou encore Tsui Hark,
cinéaste quasi innovateur du film de kung-fu (Il était une fois en Chine). Le projet de Wong Kar Wai avait donc
de quoi effrayer. Mais la plus grande réussite de The Grandmaster n’est certainement pas dans cette prise de risque.
Le film de kung-fu intéresse certes Wong Kar Wai, mais surtout Wong Kar Wai en
tant qu’auteur.
The Grandmaster
n’est pas à proprement parler une fresque classique sur le maître du kung-fu,
mais avant tout une locomotive émotionnelle lancée à plein régime pour immerger
et entrainer son spectateur en obnubilant les nombreuses scènes d’action, par
ailleurs extrêmement courtes. Courtes mais travaillées, sans alourdir
l’atmosphère chaleureuse de tous les films de Wong Kar Wai. Si la première
scène de combat a été tournée en dix nuits, elle n’occupera que cinq minutes au
final cut. Wong Kar Wai ne surcharge pas son récit de scènes longues et
épuisantes. La séquence du train, filmée au ralenti, offre un aperçu onirique du
combat mené par la sublime Zhang Ziyi. Aperçu onirique bombardé d’effets
numérique. Ce paradoxe est peut être le point le plus fort de The Grandmaster : beaucoup de séquences
ont été réalisées par ordinateur (avec notamment des flocons de neige numérique),
mais Wong Kar Wai parvient néanmoins à conserver son esthétique pure et artisanale (comme les plans se transformant en photo argentique). Une esthétique n’étant
pas assuré par le directeur photo habituel (Philippe Le Sourd, qu'on pourrait classer dans une catégorie « B » face à Christopher Doyle ou Mark Ping Bing Lee).
Gong Er (Zhang Ziyi) |
L’autre paradoxe de The
Grandmaster pourrait se trouver dans ses personnages. Pour sa septième
collaboration avec Tony Leung, Wong Kar Wai parvient à humaniser et à crédibiliser
ses acteurs. Ce qu'il peinait à le
faire dans Les Cendres du Temps
(1996) ou 2046 (2004). Sa caméra
frôle ses personnages, dans chaque scènes, rendant jouissif les scènes
d’anthologies de combat extrêmement bien maitrisées, qu’on pourrait même
qualifier de cultes. Par cela, Wong Kar Wai fait d’Ip Man un alter ego, et
comme habituellement dans ses autres films, installe une voix off des plus
séduisante. Cette voix off est le
moteur du récit, mais n’est pas entendue en continue sur les deux heures. Tous
les éléments lourdingues d’un biopic académique classique, Wong Kar Wai les supprime ou les atténue, tout en donnant une richesse visuelle époustouflante à
l’histoire d’Ip Man. Les intertitres, eux aussi, pouvant être des indications
temporelles ou encore des poèmes, participent à la montée en puissance du
récit. Montée en puissance, oui, c’est bien pour cela que Wong Kar Wai décide
de débuter par une scène de combat : tout est dit dès la première
séquence. Pas de longue exposition des personnages, pas de dialogues, mais de
l’onirisme pur plaqué pour avant tout surprendre sans pour autant assommer son
public. Certains loucheront devant ces fameux gros plans sur le plancher se brisant,
mais ces quelques plans aléatoires donnent une dynamique folle au montage,
évoquant les cinéastes soviétiques des années 1920.
L’on ressentira encore plus de plaisir en ne connaissant
rien de l’histoire d’Ip Man. Rien n’est annoncé à l’avance : le
dénouement, tout comme l’exposition, arrive brutalement et n’est pas étiré
inutilement. Et pourtant, tout cette histoire dure deux heures. Deux heures
intensives, deux heures jouissives. Mais non deux heures instructives. Même si The Grandmaster comporte quelques
passages relativement flous, Wong Kar Wai amuse. N’est-ce pas beau de voir un
grand cinéaste s’amuser ? The Grandmaster ne dégage quasiment aucun
sérieux, et si à la base un film historique peut être prise de tête, The Grandmaster est aux antipodes de la
prise de tête agaçante.
Il était une fois le Kung-Fu. Finalement, c'est bien dans la lignée de Sergio Leone que nous pourrions classer ce Grandmaster (la musique signée Shigeru Umebayashi fait d'ailleurs plusieurs fois écho à celle d'Ennio Morricone). L'épilogue ludique final, avec un Ip Man en excellente santé, surprend mais amuse ("Et vous, quel est votre style ?"). Ce n'est pas Ip Man qui pose cette question, mais bien Wong Kar Wai, établissant la communication. Un grand maître, définitivement.
Jeremy S.
Séquence d'ouverture |
Ip Man (Tony Leung) |
Gong Er (Zhang Ziyi) et The Razor (Chang Chen) |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire