Réalisé par Roman Polanski
Écrit par Roman Polanski et David Ives
D'après la pièce de David Ives et du roman de Leopold Sacher-Masoch
Festival de Cannes 2013 - Compétition Officielle
Avec : Emmanuelle Seigner, Mathieu Amalric
Musique d'Alexandre Desplat
1h33
Sortie : 13 novembre 2013
-
Le corps de la voix
Présenté en fin de compétition au 66ème
festival de Cannes, le dernier film de Roman Polanski se faisait attendre. En
restant sur le chemin théâtral après le plaisant Carnage (2011), La Vénus à la
fourrure apparaît comme une adaptation très polanskienne et européenne à
l’inverse de ses derniers films. Un retour aux chefs d’œuvres des années
soixante dix ? Pas exactement, mais un revirement plus personnel non dénué
de prétention et de faiblesse, dans une mise en scène où le cinéaste n’avait
pas l’habitude de décevoir.
Le film s’ouvre sur un travelling avant
dans une allée, sonorisé par un air mystérieux d’Alexandre Desplat, qui, subitement,
va dévier vers une salle de théâtre. Ce plan est en réalité significatif de la
totalité du film, avançant à reculons pour mieux se relever par de courts
instants comiques et de véritables climax des dialogues. Le dialogue, élément
essentiel d’une adaptation théâtrale, est brillamment dicté par Mathieu Amalric
en metteur en scène naïf et Emmanuelle Seigner en vampe belle et frivole.
Thomas (Mathieu Amalric) et Vanda (Emmanuelle Seigner) |
Avant d’être une pièce de théâtre écrite
par David Ives, l’histoire est aussi inspirée du roman de Leopold von
Sacher-Masoch. Il y avait de nombreuses années que l’aspect pervers et jouissif
du cinéma de Roman Polanski ne s’était à ce point mis en avant. Dès l’arrivée
de Vanda (Emmanuelle Seigner) dans la salle de théâtre, Polanski laisse deviner
la femme fatale se cachant dans ce corps de quadragénaire, caractéristique
propre au cinéaste, le personnage original étant bien plus jeune. Mais qui a
dit qu’une actrice de quarante ans ne pouvait faire d’effets sur un metteur en
scène marié, n’ayant jamais pensé une seule fois à l’adultère ? Les
formidables jeux que déploient les deux acteurs font de La Vénus à la fourrure un terrain de séduction peu courant. Vous n’avez encore rien vu d’Alain
Resnais (2012) se présentait dans un style proche, mais prenait le décor comme
une entité mystique et fantastique. Polanski recherche un côté davantage
symbolique et subversif dans ses costumes et son décor, avec notamment ce
cactus que Vanda qualifie de grand phallus. Les deux types de langages de La Vénus à la fourrure, le familier
(Vanda) et le soutenu (Thomas) contrastent intelligemment entre eux, bien que toutes
les répliques ne fassent pas mouche. Les nombreux « genre ! »
prononcés par Vanda deviennent après quelques répétitions agaçants et faiblards.
Tout comme les grimaces de l’actrice mâchant un chewing-gum, caractéristique
familière qui apparaît grandement ridicule dans la première demi heure. Le jeu
auquel s’adonnent Thomas et Vanda est en réalité un fantasme, entre ce qui est
joué dans la pièce et ce qui est joué dans le film. Dans les deux cas, Polanski
sème le doute et rend ainsi ce conte érotique paradoxalement ludique,
foisonnant de phrases savoureuses et provocatrices. La femme porte ici un rôle
peu vu dans les films du cinéaste, et Thomas se retrouve vite soumis à
l’actrice blondinette au visage innocent aux premiers abords. La femme n’est
plus victime mais domine pendant tout le film, plaisant par ailleurs aux spectateurs
(prenant du plaisir à être soumis comme Thomas) comme aux spectatrices (prenant
du plaisir à dominer). Mathieu Amalric apparaît dès lors comme l’alter ego de
Roman Polanski (rappelons qu’Emmanuelle Seigner n’est autre que la femme du
cinéaste). Il y a une portée sado-masochiste dans ce dernier film, enfouit en
profondeur mais bel et bien présente.
Le terme « masochisme » est par ailleurs directement emprunté
au nom de l’auteur du livre (Sacher-Masoch).
Vanda (Emmanuelle Seigner) |
Contrairement au roman, l’ensemble
demeure soft mais est traversé par un érotisme de premier plan. Il faudra
attendre les dernières minutes du film pour assister à la danse érotique de
Vanda. Jusqu’à ce moment fatal, l’actrice reste en petite tenue, s’allonge sur
le canapé, demande à Thomas de lui chausser ses grandes bottes en ayant les
jambes écartées, s’habille pour remettre sa robe du XVIIIème et se
déshabille de nouveau. La scène où Thomas manque de la perdre (elle se dirige
sérieusement vers la sortie de la salle) est une des plus amusantes, tant nous
pouvons penser que le film sans Emmanuelle Seigner se transformerait
immédiatement en ennui mortel. L’atmosphère très intimiste participe bien
entendu au plaisir éprouvé par le personnage et le spectateur. Nous sommes dans
un huis clôt radical, plus oppressant et dérangeant que Carnage. Ce dernier film semblait néanmoins plus inspiré pour la
mise en scène que La Vénus à la fourrure,
Polanski se concentrant majoritairement sur les dialogues et l’affrontement,
rendu finalement trop classique et manquant de vivacité. Ne filmer que deux
personnages pendant quatre vingt dix minutes sur une scène de théâtre n’est pas
chose aisée, malgré la sublime photographie de Pawel Edelman rendant l’ensemble
à la fois beau, réaliste, et plastique (signalons que le budget du film s’élève
à cinq millions d’euros, chiffre relativement grand pour un huis clôt).
La
beauté du film réside cependant uniquement dans ses délicieux dialogues, ne
paraissant pas écrits à l’avance mais récités comme un rituel. La dernière
séquence est une tempête dévastatrice où le surréalisme sous entendu dans le
reste du film devient radicalement matériel et puissant. Vanda est nue, drapée
dans sa fourrure, et méprise du regard Thomas attaché au Cactus. Une séquence
rappelant lointainement le genre du western, avec une musique épique en arrière
plan sonore appuyant au maximum l’effet fantastique. La Vénus à la fourrure, loin d’être un film érotique, est d’abord
une perle rare d’écriture, rattrapant invariablement les nouveaux défauts que
nous pouvons déceler, absents des précédents films du cinéaste. Une ode à la
femme, à sa puissance, mais aussi à ses deux atouts primaires : le corps
et la voix.
Jeremy
S.
Thomas (Mathieu Amalric) et Vanda (Emmanuelle Seigner) |
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