Écrit, réalisé, et produit par David Gordon Green
D'après le film A Annan Veg de Haffstein Gunnar Sigurosson
Berlinales 2013 - Ours d'argent du meilleur réalisateur
Avec : Paul Rudd, Emile Hirsch
1h34
Sortie : 30 octobre 2013
-
Rois des forêts
Fidèle ami de Judd Apatow, David Gordon
Green que l’on connaît essentiellement par de petites comédies fraiches et
décalées (Délire Express ou Votre Majesté) s’est vu récompensé cette année de l’ours d’argent du meilleur réalisateur aux dernières Berlinales. Prince of Texas est une nouvelle
comédie, cette fois davantage métaphorique, riche, et surtout libre,
s’inscrivant dans un grand cinéma indépendant américain. La touche Apatow,
malgré la présence de Paul Rudd (acteur fétiche) au casting s’esquisse
légèrement mais ne contamine aucunement l’univers posé, et le magnifique
scénario écrit par Gordon Green.
Alvin et Lance sont deux ouvriers ayant quittés
le milieu urbain pour toute une saison, dans l’objectif de repeindre des lignes
de signalisation sur une route, ayant subit les dégâts d’un incendie meurtrier.
La première image du film est ce défilement à grande vitesse des lignes jaunes,
témoin du dur labeur que les deux hommes devront affronter pendant plusieurs
mois. Mais leur travail est-il l’objet et l’objectif même du film ? Gordon
Green, délaissant le côté social et politique de l’affaire, décide de mener son
film vers une continuité (pas toujours évidente à percevoir) dialoguée entre
les deux hommes, dont la différence d’âge et d’autres paramètres ne sont, à
priori, pas faits pour coexister sans embarras. S’engageant sur la voix d’un buddy movie très classique, David Gordon
Green s’en émancipe brillamment et propose une vision grandement poétique de
la vie d’ouvriers en forêt. Alvin, au cours d’une visite d’une maison ravagée
par l’incendie, découvrira une femme encore présente sur les lieux, sympathique
et mystérieuse, en réalité un élément fantastique de l’histoire. Apportant une
légèreté et parfois un second degré à la crise existentialiste que vivent Alvin
et Lance, le cinéaste ne suit jamais les voies tracées d’un genre prédéfini,
même si nous pouvons lire la plupart du temps que le film n’est ni plus ni
moins qu’une bonne comédie dramatique.
Car le drame sous jacent dans les paroles
des deux amis a quelque chose de pauvre et d’immatériel. David Gordon Green
traverse l’âme de ses personnages, et donne une dimension parfois trop réaliste
à ses dialogues. Le drame, nous pouvons le trouver sur le visage de Lance,
lorsqu’il revient d’un week end en famille et qu’il le raconte à Alvin (tout
est dit dans les moindres détails dans un champ contre champ durant plus de
quinze minutes, le spectateur se recréant mentalement le week end de Lance par sa
narration). Le film possède alors une ambivalence littéraire, qu’il est
agréablement plaisant à entendre et à imaginer. Les décors, ou encore la
musique d’une simplicité nouvelle dans un cinéma américain de cette envergure,
participent également à la mise en place d’un terrain plat accessible et
vivable pour tous. Rappelons à ce propos que le film demeure jusqu’au bout un
huis clôt en pleine forêt texane, rendu passionnant par la vie des deux garçons.
Des histoires de filles, de famille, d’avenir, de passé, tout se mélange et
rend leurs problèmes attachants, de par leur classicisme nous donnant l’impression
de se voir en eux (faisant transparaître parfois de la haine, de l’amitié, ou
de l’amour).
De cet intelligent procédé naît l’émotion pure, qui ne cherche
jamais un sommet ou un précipice, mais qui maintient la tension, le rire, et
les larmes pendant les quatre vingt dix minutes. Prince Avalanche (titre original du film), c'est ce sentiment de puissance,
de liberté infinie, de jouissance que l’on ressent à crier notre malheur en
pleine forêt, loin de la ville et de l'humain, où la distanciation peut parfois
faire office d’une grande et inoubliable thérapie entre copains.
Lance (Emile Hirsch) et Alvin (Paul Rudd) |
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