jeudi 19 décembre 2013

Suzanne - Katell Quillévéré



Écrit et réalisé par Katell Quillévéré
Festival de Cannes 2013 - Semaine de la critique (ouverture)
Avec : Sara Forestier, François Damiens, Paul Hamy... 
1h34
Sortie : 18 décembre 2013

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La vie de Suzanne


Raconter une longue histoire en quatre vingt dix minutes chrono, tel est le défi relevé par la jeune Katell Quillévéré, avec un unique long métrage à son actif (Un poison violent, 2010). Si Kechiche peignait une grande fresque non exempte de longueurs et de passages agaçants, cette dernière réussit ce même exploit par un conte plus réaliste et ellipsé.

Sara Forestier, portant le film sur ses épaules, en est la principale raison. Son rôle de jeune mère précoce l’amène à un jeu distant et équilibré, à l’opposé de celui de sa révélation dans L’Esquive d’Abdellatif Kechiche. Suzanne est une jeune femme comme une autre, âgée de moins de vingt ans et souhaitant absolument garder son premier enfant. L’arrivée de cet élément pourrait annoncer une suite prévisible et pompée sur le cinéma des Dardenne. La réalisatrice se situe pourtant à mille lieux de l’univers des frères belges, bien que l’esthétique de sa mise en scène en soit parfois étonnamment proche : de long plans sur les visages meurtris, des expositions sans détours d’activités quotidiennes, la ville filmée comme un environnement hostile… En un mot, ces caractéristiques relèvent sans surprise d’un fort naturalisme blafard, lumineux, mais au grand jamais poussif ni transparent (cf le pitoyable Jeune & Jolie). Nous suivons donc Suzanne non seulement d’un seul angle, mais sous plusieurs, sans assister pour autant à un banal film choral. La pluralité du point de vue s’incarne à merveille dans les personnages secondaires, à commencer par François Damiens trouvant un rôle en or massif. Le père violent est aussi compréhensif que compréhensible, allant jusqu’à quitter le procès de sa fille à mi parcours.

Suzanne (Sara Forestier) et sa soeur Maria (Adèle Haenel)

Katell Quillévéré ne nous cache pas les larmes ni la tristesse. Si le film penche à certains moments dans un versant beaucoup trop sentimental pour nous atteindre, l’écriture variante rattrape intelligemment ces faiblesses : seul certains grands événements jalonnant la terrible vie de Suzanne nous sont montrés en intégralité. La place de l’ellipse est ici fondamentale, non seulement pour brosser l’intégralité de ces vingt cinq ans, mais aussi dans un objectif davantage personnel. Le choix des différentes séquences appartient à l’auteur, et l’appropriation même de son scénario nous justifie le désir de la réalisatrice pour cette histoire, qui n’apparaît finalement pas comme réaliste et documentée, mais bien comme métaphorique envers la vie en générale, chez toute femme comme chez tout homme : un drame n’est pas un frein, un drame n’est pas un mur dans une vie. Nous pouvons le contourner, le masquer, voire l’oublier. Sans jamais être moralisateur, Suzanne impose une narration paradigmatique, touchante et bouleversante. Ce ne sont pas les personnages qui nous bouleversent, mais bien leur comportement parfois animal et sauvage.

La force majeure du film s’inscrit essentiellement dans son scénario. Katell Quillévéré n’a pas recherché de procédé formel de mise en scène, et filme à vue d’œil, adoptant une position d’observatrice qui évite judicieusement l’alter ego avec Sara Forestier que nous pourrions déceler. L’empathie n’est pas là dès les premières minutes, mais arrive au fur et à mesure que le bain romanesque se remplit. Le personnage de Paul Hamy (révélation évidente) change selon les apparences mais demeure au fond le même homme. Le père, la sœur, ou Suzanne, eux, subissent de véritables mutations visibles non seulement par leur vieillissement à l’écran, mais également par une caméra soucieuse de nous cacher certains contre champs préférant suggérer ses propos. La musique participe aussi bien entendu à ce triste voyage, appuyant l’écoulement du temps et non le moral des protagonistes. Brillament écrit, correctement réalisé, magnifiquement interprété, ce petit bijou apparaît comme un roman transposé à l'écran. 

Jeremy S.

Le deuxième enfant, Suzanne (Sara Forestier), Julien (Paul Hamy)

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