vendredi 25 octobre 2013

Gravity - Alfonso Cuarón



Écrit et réalisé par Alfonso Cuarón 
70ème Mostra de Venise - Film d'ouverture
Avec : Sandra Bullock, George Clooney, Ed Harris...
1h30
Sortie : 23 octobre 2013

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La loi de l'attraction

 Cet article dévoile des éléments clés de l'intrigue. 

La Terre est là. Nous l’observons, émerveillés comme les deux astronautes. Cette Terre nous semble à la fois proche et lointaine, comme si nous étions dans un entre deux mondes. Le nouveau film d’Alfonso Cuarón (réalisateur de l’excellent Les Fils de l’homme, 2008) est un ovni hollywoodien sorti non pas de l’industrie mais bien des idées brillantes du cinéaste mexicain. A l’heure d’aujourd’hui où la science fiction semble en perte de vitesse (mis à part le Star Trek Into Darkness de J.J Abrams), Gravity est une surprise des plus belles de l’année 2013. D’un genre proche de celui de la science fiction, le film en est cependant rigoureusement éloigné. L’expérience que nous fait vivre Cuarón n’a encore jamais été vue,  encore moins vécue dans une salle de cinéma. 

Deux gens bavards flottent dans l’espace, en orbite, tentant de réparer un télescope. Le plan séquence d’ouverture de Gravity (durant près de quinze minutes) restera un grand moment de la décennie : tel un satellite, la caméra survole le vaisseau, prend du recul, et nous met littéralement la tête à l’envers, avec une sensation de vertige des plus impressionnantes. Quatre ans après Avatar de James Cameron, la 3D semble à nouveau retrouver sa puissance primaire : immerger et agripper son spectateur sans contact physique avec la matière filmée. Nous pouvons aussi appeler cela, plus simplement, le spectacle. Gravity n’est pas un film à suspense, ni un divertissement, mais bien une expérience cinématographique hors normes. Le pari réussi du film est bien de donner à vivre, au grand public, une aventure inoubliable dans les étoiles traduite par une mise en scène et un scénario d’une simplicité déconcertante. Nous pourrions presque qualifier Gravity de blockbuster minimaliste, si les nombreux effets spéciaux avaient été rendus moins réalistes et bluffant. Tourné dans une boîte de trois mètres cube, lieu de tournage minuscule, le résultat paraît infiniment grand et extraordinaire. Le génie de la technique contemporaine s’accole directement à celui de la narration rabotée intelligemment, comme si Cuarón ne voulait pas paraître plus fort, plus malin qu’il ne l’est. Le scénario peut ainsi se résumer en une vingtaine de mots : « Le docteur Ryan Stone et l’astronaute Matt Kowalsky, suite à une tempete dévastatrice détruisant leur vaisseau, errent dans l’espace. » Une errance, c’est précisément ce que raconte Gravity, en particulier celle de Ryan Stone, à peine âgée d’une trentaine d’années et déjà face au couloir d’une mort certaine.


Ryan (Sandra Bullock) et Matt Kowalsky (George Clooney)

La fable existentialiste que soulève le film ne se distingue pas immédiatement, mais devient par la suite la meilleure façon de définir ce que vit Ryan. À l’intérieur de son scaphandre, nous sommes Ryan. L’attraction à laquelle nous invite le cinéaste est parfois purement ludique, mais aussi paradoxalement réaliste et effrayante. En plus d’être un survival, Gravity ne revendique jamais son appartenance à un genre prédéfinit : nous en revenons toujours au spectacle, à l’attraction, à l’expérience.

En ce sens, Gravity ne possède pas d’antécédents. La comparaison avec 2001 : l’odyssée de l’espace est impertinente, en partie à cause du côté mystique et fantastique totalement absent du film de Cuarón. Gravity pourrait effectivement se dérouler aujourd’hui. Si nous sommes subjugué par la plupart des scènes, c’est d’abord grâce à la mise en scène du cinéaste sublimant cet environnement. L’on retiendra la scène de tempête de météores, ou encore celle de la rupture, qu’il serait injuste de divulguer. Si les quarante premières minutes se déroulent à l’extérieur du vaisseau, l’autre partie du film nous y fait pénétrer. Sandra Bullock flottant en petite tenue tel Sigourney Weaver dans Alien de Ridley Scott apparaît comme une entité pleinement humaine et nourricière. Elle pourrait symboliser Ève, le dernier espoir de renaissance. Un thème central de Gravity, qui se présentera dans l’ultime partie : celle du retour sur la terre ferme. La grande surprise du film, qui ne séduira probablement pas tout son public. Au bout d’une heure quinze de projection, Cuarón souhaite nous faire redescendre. Le final, époustouflant, demeure aussi terriblement inférieur au reste du spectacle. La grosse machine hollywoodienne reprend possession du corps du cinéaste, néanmoins sans l’engloutir totalement. L’empathie avec Ryan s’étant développé précédemment, jusqu’à atteindre le stade de fusion spectateur/personnage est donc parfaitement justifiable. Le plan de Ryan rentrant dans le vaisseau, enroulée comme un fœtus, en plus d’être un clin d’œil au géant (Stanley Kubrick) est aussi annonciateur de ce final laissant perplexe. L’océan dans lequel tombe Ryan n’est autre que le liquide amniotique, et sa remontée à la surface une symbolique de l’accouchement.

Ryan Stone (Sandra Bullock)

Cet aspect du film contraste brillamment avec le réalisme de l’expérience qui nous est d’abord exposé. Si le cinéaste choisit de ramener sur Terre son personnage, c’est aussi dans l’objectif de poétiser cette aventure, briser les caractéristiques du survival, et bien entendu émerveiller son public, comme la fin d’un opéra. Le dernier plan (évoquant quelque part celui de The Tree of Life de Terrence Malick), une contre plongée montrant Ryan se relever sur le sable d’un ilôt, est un triomphe de la divinité mise sous veilleuse dans les autres parties. La dimension métaphysique de Gravity, aux antipodes de celle de 2001 : l’odyssée de l’espace, émeut tout autant. Cette émotion, nous ne l’avions pas ressenti depuis de nombreuses années. 
Si Gravity demeure imparfait, intriguant, ou encore légèrement trop court (deux heures avec plus de plans contemplatifs dans l’espace n’auraient pas été de trop), il est aussi le témoignage d’un renouveau du cinéma américain , ou plus généralement, d’un grand pas en avant pour le septième art.

Jeremy S.


Ryan Stone (Sandra Bullock)

jeudi 17 octobre 2013

La Vie d'Adèle - Abdellatif Kechiche



Écrit et réalisé par Abdellatif Kechiche
D'après la bande dessinée Le Bleu est une couleur chaude de Julie Maroh
Avec : Adèle Exarchopoulos, Léa Seydoux ... 
Palme d'or - Festival de Cannes 2013
2h59
Sortie : 9 octobre 2013

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Une couleur chaude



La triomphe de la triple palme d’or pour Abdellatif Kechiche nous a amené a un nouveau jugement du cinéaste, autant pour les convaincus de l’immensité de son talent (La graine et le mulet et Vénus Noire entre autres) que pour les plus sceptiques. La Vie d’Adèle, auréolé de polémiques - qu’il n’est pas nécessaire de rappeler – est à ce jour le film français le plus populaire dont tout le monde peut entendre parler, de la bouche de cinéphiles ou de simples amateurs. Le cinéma d’Abdellatif Kechiche a-t-il déjà rencontré une telle popularité par le passé ? Si L’Esquive ou La Faute à Voltaire ont révélés le cinéaste, ils demeurent aussi des films pas toujours faciles d’accès ayant du mal à se faire une place ancrée dans le cinéma français contemporain. La Vie d’Adèle pourrait être enfin le remède, l’union d’un grand cinéma d’auteur à un art populaire des premiers temps.

La Vie d’Adèle est adapté d’une bande dessinée (le Bleu est une couleur chaude) et raconte une histoire d’amour entre deux adolescentes, de sa naissance jusqu’à sa mort. Histoire d’amour que l’on pourrait qualifier de touchante, passionnée, ou encore de violente. Adèle (Adèle Exarchopoulos) est une jeune lycéenne, flirte avec son copain, et semble à l’aise dans son milieu. Emma (Léa Seydoux) est une étudiante des Beaux arts, plus âgée, ne ressemblant d’aucune façon à Adèle. La rencontre explosive entre les deux filles ne se fait pas attendre longtemps : par un simple regard au ralenti, Kechiche crée la relation, la présentant entre un réalisme et une poésie grandiose. Nous sommes du côté d’Adèle, nous vibrons avec elle, nous devenons avides de ses gestes les plus normaux (relever son pantalon, manger des spaghettis) et ressentons l’envie de mieux la connaître. Une forme de perversité pas si désagréable en soi, nous invitant à habiter le corps du personnage. Emma, dès la première rencontre, semble inaccessible (par sa fréquentation), étrange (par ses cheveux), et belle (par son visage, élément central du film). La première partie du film (Chapitre 1) nous raconte ce changement de cap dans la vie d’Adèle, cette rencontre qui va changer aussi bien ses relations parentales, amicales, amoureuses, que professionnelles. La mise en scène de Kechiche relève cependant d’une nouveauté : celle de montrer crument la beauté de la femme, de son visage, en obnubilant une partie (voire la totalité) du décors. À l’inverse de L’Esquive qui était parcourue d’une large palette d’échelles de plans, La Vie d’Adèle n’est quasiment composée que de gros plans, et ce sur les trois heures de projection. « Filmer pour être au plus près des corps », parole de débutant, aspire néanmoins à une plus grande maîtrise chez Abdellatif Kechiche. Mais ce procédé répétitif n’en est pas moins synonyme de malaise, parfois d’ennui et de lourdeur, et plus rarement de passion.

Adèle (Adèle Exarchopoulos) et Emma (Léa Seydoux)

La passion est toutefois la pile d’alimentation de La Vie d’Adèle. On ne pourra passer à côté de la scène de sexe centrale durant plus de sept minutes. Cette scène, ne le cachons pas, est probablement la plus grande déception de cette palme d’or. Filmée de façon clinique et pornographique, l’entremêlement des corps finit par ne ressembler qu’à une chimère sexuelle consternante. Est-ce ce que recherchait Kechiche pendant les nombreuses prises ? Cet honnête homme répond dans ses interviews que le réalisme lui importait beaucoup. Cette scène fusionnelle, en plus d’installer une antipathie inattendue avec les deux actrices, démontre également la cruauté du rapport amoureux, la violence de la passion découlant du premier regard. En ce sens, ces sept minutes ne demeurent pas radicalement inintéressantes, mais surviennent comme une lourde enclume dans la narration remarquable que le cinéaste déploie au cours de la première heure.
La suite du film (Chapitre 2), montrant la vie conjugale et le déchirement du couple, plus classique, apparaît également comme un film naturaliste grandement réussi ne tombant dans aucun piège, en l’occurrence celui d’impliciter la plupart des sentiments. Dix ans de la vie d’Adèle passent, elle devient professeur des écoles, tandis qu’Emma continue à peindre de son côté. Deux évolutions très différentes mais toujours animées par l’amour et la peur de la dissolution. Notons à ce propos une belle idée quelque peu involontaire de la part du cinéaste : ne pas faire vieillir radicalement Adèle, mais garder le corps de la première partie, scellé à jamais par les rapports sexuels. Adèle est-elle une égérie pour Emma, ou est-ce l’inverse ? Tout porte à croire que les rapports vont dans les deux sens, jusqu’à la séquence glaçante de la rupture, la meilleure du film. Emma crie comme chez Maurice Pialat (notamment comme Sandrine Bonnaire dans À nos amours), Adèle pleure comme chez Ingmar Bergman (Cris et chuchotements). L’affrontement que nous présente Kechiche nous fait oublier les actrices et fait réellement vivre ses personnages, à l’inverse de la fameuse scène de sexe.

Emma (Léa Seydoux)

Le penchant réaliste de La Vie d’Adèle reste cependant parfois trop appuyé et prévisible. L’on relèvera les repas de famille assez faiblards, tout comme la première scène montrant une classe de lycéens avec Marivaux entre les mains, lisant comme des enfants sages (cela peut aussi nous évoquer la palme de Laurent Cantet, Entre les murs). Mais un potentiel chef d’œuvre peut toujours être imparfait, en particulier pour un film de trois heures ayant le mérite de porter ses deux interprètes vers un sommet de jeu que l’on pensait inatteignable. La dernière séquence, faisant office d’épilogue, est un grand et triste moment. Adèle, à l’exposition d’Emma, quelques mois après la rupture, ne sait plus où regarder. Ses yeux félins scrutent les tableaux et la salle à sa recherche. Le monde environnant n’existe plus, Adèle est absorbée, encore anesthésiée par les œuvres d’Emma, en particulier celle dont elle fait partie. Dans un ultime plan sur la rue, nous voyons Adèle dans sa robe bleue, s’envoler vers sa vie future. Emma n’a pas été qu’un simple exutoire, mais aussi et surtout un moyen d’apprentissage de ce que sont les beautés et les horreurs d’un premier amour. Abdellatif Kechiche est parvenu à intriguer, par un beau mais parfois agaçant long métrage. Le bleu, comme la robe d’Adèle et les cheveux d’Emma, en plus d’être une couleur chaude, est aussi une composante essentielle de la vie : celle qui nous dit que l’amour, sans posséder de limites, ne doit pas forcément s’arrêter et disparaître, mais demeurer comme un souvenir indélébile, dérangeant, auquel nous repenseront jusqu’à notre triste fin.

Jeremy S.

Adèle (Adèle Exarchopoulos)

mardi 15 octobre 2013

Prisoners - Denis Villeneuve



Réalisé par Denis Villeneuve
Écrit par Aaron Guzikowski
Avec : Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal, Maria Bello, Paul Dano...
2h33
Sortie : 9 octobre 2013

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Les frissons de l'angoisse


Tout commence dans la banlieue de Boston, lors d’un après midi grisâtre typiquement américain. Les Dover et les Birch sont ensemble, discutent et rigolent, jusqu’à une terrible découverte : la disparition d’Anna et Joy, leurs deux filles tout juste âgées de 6 ans. Il y a d’ores et déjà quelque chose de grand, quelque chose de puissant dans ces magistraux plans d'ouverture, nous indiquant que l’homme derrière la caméra n’est pas un débutant, mais bien un expert du genre. Denis Villeneuve, acclamé pour le magnifique Incendies (2009), tente cette année une première expérience hollywoodienne. Annoncé par la presse américaine comme le digne descendant des immenses Zodiac (David Fincher, 2007) et Mystic River (Clint Eastwood, 2003), Prisoners s’en émancipe néanmoins avec brio.

Cela faisait plusieurs années qu’un tel long thriller n'avait à ce point captivé. Captivé d’abord par son scénario retors en zigzags, mais également par la puissance de jeu des deux acteurs principaux, Hugh Jackman (le père de famille) et Jake Gyllenhaal (le flic). Par leur présence massive et extrêmement vivante à l’écran, leurs personnages prennent d’emblée une profondeur démesurée, harponnant notre regard pendant plus de deux heures, sans jamais tomber dans l’exagération ou l’incohérence primaire de leurs rôles respectifs. Jake Gyllenhaal (inspecteur de police, personnage directement emprunté à celui de Zodiac), est un flic intelligent et dérangé par le monde qui l’entoure. Un monde sauvage et déstabilisant, rendu glaçant par la caméra de Denis Villeneuve. Les deux hommes évoluent et s'affrontent progressivement dans une mise en scène stable et millimétrée, parcourant les sentiers du petit village comme le territoire de l’enfer. Une croix pendue dans la voiture de Keller Dover justifie, comme d’autres éléments constitutifs du cadre, la place prépondérante du démiurge en amont du drame et de l’enquête. Prisoners est un film sur la façon de combattre le mal, de la manière la plus brutale à la plus sage.

Keller Dover (Hugh Jackman) et Alex Jones (Paul Dano)

C’est précisément la question que nous pose l’intégralité du film : « Le feriez-vous ? ». En ce sens, le décollage de Prisoners vers les sommets de l’art du thriller perdu depuis une dizaine d’années ne se fait pas attendre longtemps, et passionne dès le premier retournement. Evitant judicieusement les twists  lancés comme des bombes, Denis Villeneuve construit une œuvre d’atmosphère dont le malaise opère au bout de quelques minutes. Points de vues subjectifs, points de vues omniscients, la mise en scène se confond par moment de façon radicale, nous faisant penser que le cadre ne possède pas de refuge. Car le refuge, qui pourrait se traduire par les personnages secondaires (la femme de Dover et l’autre famille) est vite mis de côté pour se focaliser uniquement sur les deux pièces maîtresses, le détective et le justicier, à la confrontation proche mais séparés par une frontière imaginaire jusqu’à la fin du film. Nous assistons, impuissant face aux grandes scènes qui se déroulent sous nos yeux, à la grande plongée sombre d’un honnête homme. L’empathie que recherche le cinéaste pour ses personnages est implicite. Tel une méthode pour faire participer le spectateur à l’enquête, sans jamais le prendre par la main, mais en lui faisant adopter un point de vue fermé sur l’extérieur (ce que Lars Von Trier faisait brillamment avec Nicole Kidman dans Dogville). Hugh Jackman explosant de fureur, et brisant un lavabo avec une rage inouïe, le tout en plan fixe, montre bien à quel point le réalisateur québécois cherche à nous heurter. Sans aucune intention malsaine, les scènes de torture et d’interrogatoire se retrouvent noyées dans le tourbillon d’évènements qui surviennent sans bachotage. Le film enchaîne toutes ses scènes d’une égale puissance, de façon aussi languissante que Seven de David Fincher.


Nancy Birch (Viola Davis), Loki (Jake Gyllenhaal), Franklin Birch (Terrence Howard)

L’appréhension du final, quant à elle, ne se resserre qu’au dernier moment et parvient à larguer son spectateur, même après sa résolution. Le génie de Denis Villeneuve est à l’évidence de centrer son approche sur l’humain, le mal, la violence, plus que sur une enquête classique avec des personnages archétypaux. Prisoners n’est ni une œuvre symbolique ou psychologique, mais bien une œuvre d’appoint dans le paysage des thrillers américains de nos jours. Il faut noter les rumeurs précédent le casting définitif du film, qui en plus de s’annoncer alléchantes provoquait également une certaine question sur la façon dont Denis Villeneuve pourrait travailler avec ces grands comédiens (la même question se pose pour le prochain film de Bong Joon-ho, Le Transperceneige). Le résultat est là, d'une beauté admirable et jouissive : Prisoners, grand thriller américain réalisé par un cinéaste québécois, fait d’ores et déjà partie du panthéon des films du genre. 

Jeremy S.


Grace Dover (Maria Bello), Anna Dover (Erin Gerasimovich), Keller Dover (Hugh Jackman) et Ralph Dover (Dylan Minette)


lundi 14 octobre 2013

As I Lay Dying - James Franco



Réalisé par James Franco
Ecrit par James Franco, Matt Rager
D'après le roman Tandis que j'agonise de William Faulkner
Avec : James Franco, Tim Blake Nelson, Jim Parrack, Ahna O'Reilly
1h50
Sortie : 9 octobre 2013

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Affreux, sales et méchants


15 narrateurs et monologues intérieurs, voilà les caractéristiques que présentait le livre de William Faulkner, Tandis que j'agonise (As I Lay Dying). Retranscrire ces deux éléments littéraires au cinéma n'est pas chose aisée (ce livre est notamment "réputé inadaptable"). Et pourtant, l'acteur protéiforme James Franco décide de se confronter à cette sacro-sainte oeuvre. Si l'intention est louable, le résultat laisse à désirer.

Pour autant la réflexion de James Franco sur la manière d'adapter cette oeuvre est tout à fait ingénieuse. En effet, la quasi totalité de son film est composée de split screen qui de prime abord est très pertinent pour mettre en image une multiplicité de narrateur. Néanmoins la conception de son utilisation va à l'encontre de ce que l'on pourrait attendre (le partage d'écran n'est là que pour montrer, sous différents angles, un même personnage). Si ce procédé s'avère efficace et profitable dans Time Code de Mike Figgis ou chez le "maitre en la matière" Brian De Palma, ici son intérêt est obsolète et va même jusqu'à  provoquer l'agacement.

Ce faux pas impacte sur le reste du film. Alors que dans le roman la construction narrative permet de supporter la monstruosité des personnages, chez James Franco elle ne fait que l'accentuer. Ces protagonistes, tout droit sorti d'un univers à la Affreux, Sales et Méchants de Ettore Scola (l'humour noir en moins) sont très difficiles à supporter, l'identification à l'un d'eux et impossible, tant par leur caractère que par leur nombre. L'histoire se ressent très rapidement comme une longue descente aux enfers dont le cinéma, celui que propose Franco, n'apporte aucune alternative.

Et pourtant, il aurait été agréable de placer James Franco dans la catégorie de réalisateurs proposant actuellement de véritables expériences cinématographiques tels que Nicolas Winding Refn avec Only God Forgives (narratives, sensorielles et visuelles) ou Ari Folman avec Le Congrès. Qualifié finalement de film "arty", As I Lay Dying dégage une certaine prétention à contrario de son créateur qui devra encore faire ses preuves avec le projet audacieux Interior. Leather Bar. : rejouer les scènes coupées du film La Chasse de William Friedkin empreintes de thématiques SM gay susceptible de faire passer le film original dans la classification X.

Alexis D.

Jewel Bundren (Logan Marshall-Green)

Dewey Dell Bundren (Ahna O'Reilly)

Northwest - Michael Noer



Réalisé par Michael Noer
Ecrit par Michael Noer, Rasmus Heisterberg
Avec : Gustav Dyekjaer Giese, Oscar Dyekjaer Giese, Roland Møller,...
1h31
Sortie : 9 octobre 2013

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Liés par le sang


Depuis ses tout débuts le cinéma puise un grand nombre de ses histoires sur le monde du crime organisé. Du plus hystérique (Scarface de Brian De Palma) au plus classique (Le Parrain de Francis Ford Coppola) en passant par le post-modernisme (Spring Breakers de Harmony Korine) cette horrifiante et fascinante facette du monde est déclinée à toutes les sauces. Le cinéma danois n’y échappe pas non plus. Northwest est à la croisée des chemins entre l’esthétique mis en place dans Pusher de Nicolas Winding Refn (un héritage culturel) et le réalisme de Gomorra de Matteo Garrone.

Si le schéma narratif reste le même (grimper les échelons dans un 1er temps et payer le prix de la réussite dans le 2nd) Northwest se démarque à la fois par son côté très documentaire (constat de la société danoise : chômage, délinquance, guerre de gang, problème familiaux) et le mélange entre l’univers malsain des gangs et celui de la famille. La famille étant une conception décadente dans la société qui est présenté dans le film, Casper (Gustav Dyekjaer Giese), cambrioleur « de talent », se trouve une famille de substitution, celle d’un gang scandinave (après avoir délaissé un gang d’émigrés musulman).

A la suite de péripéties, Casper doit se trouver un acolyte et choisit Andy (Oscar Dyekjaer Giese) son frère à l’écran et dans la vie. Tout l’intérêt du film est de faire voir si et comment les liens du sang résistent dans ce milieu corrompu. Bien plus qu’un film de mafieux, il est surtout un fort moment de cinéma où la frontière entre la fraternité et la trahison s’avère très poreuse.

Michael Noer rend un bel hommage au Pusher de Nicolas Winding Refn, en utilisant à la fois caméra portée (qui accentue le documentaire) et un voile grisâtre qui crée une ambiance menaçante en totale adéquation avec l’état d’esprit de Casper, coincé dans des entre-deux mondes : entre les deux gangs et entre les gangs et sa famille).

Ce que tout le monde attend en regardant ce « genre » de film est la chute de son protagoniste. Là encore Northwest est dans la continuité des illustres prédécesseurs. Aussi glacial que dans Les Infiltrés de Martin Scorsese, Michael Noer choisit délibérément de mettre la violence en hors-champ laissant au spectateur le soin d’imaginer les pires atrocités.

Alexis D. 

Casper (Gustav Dyekjaer Giese) et Jamal (Dulfi Al-Jabouri)

dimanche 13 octobre 2013

Machete Kills - Robert Rodriguez



Réalisé par Robert Rodriguez
Ecrit par Kyle Ward
Avec : Danny Trejo, Mel Gibson, Sofia Vergara, Amber Heard
1h48
Sortie : 2 octobre 2013

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Machete Coule


Véritable rafraîchissement cinématographique en 2010 avec Machete, Robert Rodriguez présente 3 ans plus tard le 2nd volet de sa trilogie, pensée dès 2007 lors de son projet Grindhouse avec Quentin Tarantino dont une bande annonce du désormais célèbre tueur à la machette passe entre la diffusion de Planète terreur de Robert Rodriguez et Boulevard de la mort de Quentin Tarantino. L'esthétique série B ainsi que le mode de pensée du cinéma qu'il implique transparaissait bien dans le 1er film. Le 2ème relève avant tout d'un manque de créativité flagrant (recyclant même ce que Rodriguez a pu faire lors de films antérieurs).

En effet, comme dit précédemment, le succès public et commercial du 1er né de la trilogie rend la crédibilité de la série B du second beaucoup moins acceptable. Tout l'intérêt étant (au départ) de s'en sortir avec très peu de moyens, de créer des effets spéciaux certes assez "cheap" mais qui faisaient toute la réjouissance de cette catégorie de films. Or aujourd'hui il utilise un budget conséquent pour créer effets (numériques) dont la qualité est volontairement rabaissée. Il en résulte que le spectateur remarque assez rapidement que Rodriguez tente de le duper.

L'autre gros défaut de ce film est de s'attarder plus longtemps sur le dernier épisode de la saga plutôt que de se concentrer sur le film qui nous est donné à voir. Dès le départ des extraits de Machete Kills again... in Space sont projetés.   Bien que drôle (enfin normalement), cet extrait a surtout l'imbécilité de révéler tous les personnages qui résisteront d'ici la fin de ce film. On y découvre néanmoins quels seront les inspirations qu'il revendiquera dans son prochain film (Star Wars notamment). Alors que cette bande annonce est terminée, les clins d'oeil au futur film persistent et deviennent vite insupportables. Robert Rodriguez s'attarde trop sur l'après Machete Kills. Cela se vérifie clairement à la fin du film où le dénouement est inexistant et laisse rapidement sa place à d'autres extraits de Machete 3ème du nom.

Le seul avantage de cette saga est de se permettre absolument tout sur le devenir des personnages. Robert Rodriguez a le culot de faire apparaitre et disparaitre des acteurs et actrices en moins de 2 minutes (de Jessica Alba à Antonio Banderas en passant par Vanessa Hudgens, une grande partie des acteurs latinos et sexy d'Hollywood finissent 6 pieds sous terre). Même si cela parait frustrant, il est réjouissant de le voir s'en amuser.

Alexis D. 

Miss San Antonio (Amber Heard) et Machete (Danny Trejo)

Machete (Danny Trejo) et Ché (Michelle Rodriguez)

Luthor Voz (Mel Gibson)

jeudi 10 octobre 2013

La Bataille de Solférino - Justine Triet



Ecrit et réalisé par Justine Triet
Avec : Vincent Macaigne, Laetitia Dosch, Arthur Harari
Festival de Cannes 2013 - Sélection ACID
1h34
Sortie : 18 septembre 2013

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À bout de souffle


Peu de temps après la Fille du 14 juillet sorti cet été, la révolution du cinéma français continue son tracé cette fois avec une jeune réalisatrice aux commandes. Justine Triet, diplômée des Beaux arts, livre un premier film d'une rare originalité et insolence, dont on ressortira d'abord ému mais aussi avec le sentiment d'avoir été tabassé, arnaqué, ou encore bluffé.

Le premier coup dure une vingtaine de minutes : la première scène dans l'appartement de Laeticia avec ses deux bébés ne dégage rien de symbolique ni de social. C'est une scène de la vie courante, où aucun défaut n'est masqué, où les acteurs se confondent avec de réels personnes, où la fiction émerge difficilement. Le côté documentaire du film est peut être le fait le plus marquant de ces deux batailles : celle du PS et de l'UMP, ayant lieu le 8 mai 2012, et celle de Vincent et Laetitia, un couple en crise. Justine Triet a effectivement tourné pendant la réelle élection (difficilement) pour chercher ainsi à donner une portée documentaire et politique à son premier film. Laetitia se fait passer pour une journaliste d'iTélé, tout le monde y croît, le spectateur en premier. Car le génie de La Bataille de Solférino, c'est cette réalité, cette histoire où chacun peut s'y reconnaître, où chacun peut sourire ou gueuler face à une enfilade de scènes plus extraordinaires les unes que les autres (en particulier pour une réalisatrice débutante). 

Laetitia (Laetitia Dosch), Arthur (Arthur Harari), Vincent (Vincent Macaigne)


Revenons à cette première couche. Les enfants qui braillent comme des animaux, c'est effrayant. Justine Triet veut-elle nous agaçer, nous ennuyer ? La suite du film le confirme avec excellence, précisément parce que La Bataille de Solférino apparaît finalement comme une grosse bombe à retardement. Nous allons suivre le parcours de Vincent, celui de Laetitia, dans une France au bord du précipice, au moment où le nouveau (ou l'ancien) chef changera du tout au tout. Il y a une certaine rage dans le film de Justine Triet, une rage contrôlée et terriblement efficace.

Vincent Macaigne (déjà brillant dans Un Monde sans femmes de Guillaume Brac et la Fille du 14 juillet d'Antonin Peretjako) est un nouveau Jean Yanne (le film pourrait se dérouler dans un univers parallèle à celui de Nous ne vieillirons pas ensemble de Maurice Pialat) dont le jeu explose et fascine à l'écran. Comme chez Richard Linklater, La Bataille de Solférino se déroule sur une journée, de l'heure la plus matinale à la plus tardive. La palette d'émotion et de différentes facettes des jeux d'acteurs apparaît d'une richesse inouïe, à l'encontre de la comédie et du drame naturaliste. Comédie et drame, le film pourrait être classé comme cela. Mais ce n'est pas ce que recherche la jeune réalisatrice, tant elle s'affranchit des sentiers battus pour aspirer à une plus grande maîtrise et une affirmation d'un style propre.

Si le film ne nous prend pas par la main, c'est résolument car la maturité qui s'en dégage ne vise non pas à une éducation lourdingue du spectateur, mais bien à un lyrisme réaliste rarement vu dans le cinéma français depuis les chefs d'oeuvre de Jean Luc Godard ou d'Alain Resnais. Justine Triet n'est pas Rebecca Zlotowski ni Claire Denis, mais bien une réalisatrice française d'une nouvelle ère, rappelant certes la nouvelle vague, mais s'en émancipant intelligement. Cette histoire aux accents politiques ne verse ni dans un plaidoyer, ni dans une quelconque leçon ou vision propre à la cinéaste. La Bataille de Solférino est libre, rugueux, âpre, et paradoxalement délicieux. Nous n'en demandions pas tant pour un premier et grand film, qui jallone d'emblée un nouveau visage du cinéma français d'auteur. Justine, nous te remercions pour ce grand moment de cinéma et te souhaitons une longue et agréable carrière, venant tout juste d'éclore, et s'annonçant d'emblée magistrale. 

Jeremy S.

Laetitia (Laetitia Dosch)


Arthur (Arthur Harari) et Vincent (Vincent Macaigne)



mardi 8 octobre 2013

Mon âme par toi guérie - François Dupeyron



Ecrit et réalisé par François Dupeyron
Avec : Grégory Gadebois, Céline Sallette... 
2h04
Sortie : 25 septembre 2013

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Mon don par toi gâché


Mon âme par toi guérie ? Est-ce réellement la meilleure phrase pour résumer le dernier long métrage de François Dupeyron ? Sa première (et seule) qualité est là : plus qu’une odyssée infernale d’un ours dépressif, Mon âme par toi guérie est aussi une agréable leçon de vie, une belle façon d’affirmer sa confiance en soi même. Le message léger est cependant bien trop mis en avant pour émouvoir et embarquer son public, comme il pourrait y prétendre par ce titre méchamment pompeux. 

Frédi n’a plus de mère. Elle est morte, et lui a laissé un don : celui de guérir les gens. Frédi n’est pas beau, mais  gentil. Le faux personnage archétypal est la première erreur du cinéaste : sommes nous sur Terre ou dans les airs ? La métaphysique sur laquelle surfe en permanence Mon âme par toi guérie en devient vite agaçante et ridicule autant que son titre. Le parcours de Frédi pour se remettre à vivre suite au décès de sa mère sera bien entendu semé d’embûches, comme de rencontres fortuites et de faits catastrophiques.

S’affranchissant néanmoins d’un académisme prévisible, Dupeyron filme la traversée de Frédi comme une abeille virevoltant autour du héros. Plans désaxés, caméra portée, contre plongée sur les rayons de soleil, sa mise en scène parvient à intriguer la première demi-heure. Le basculement (lorsque Frédi tueras un enfant sur la route par accident) en est d’autant plus décevant. Petit à petit, Dupeyron s’isole dans le film art et essai prétentieux, ne montrant aucun plaisir à filmer son acteur brillantissime (Grégory Gadebois) comme un sauveur. Car Frédi n’est autre qu’un homme gros et gras dont nous devons avoir pitié, nous spectateurs français, anesthésiés au naturalisme français. Comme Marine Vacht chez François Ozon, Frédi mettra deux longues heures de projection pour se relever, constater l'enfer qu'est sa vie, remettre en place sa conscience disloquée, et sortir de cette misanthropie détestable. La métaphysique n’est pas suffisamment assumée et déçoit par son traitement mécanique, que  tout autre cinéaste débutant aurait tout aussi bien pu réaliser.

Nina (Céline Salette), la droguée, sera de l’aventure. La rencontre entre les deux êtres en perdition est peut être le meilleur moment du film dans cette mise en scène agonisante : brutale et froide, Dupeyron évite de justesse le cliché attendu, l’union fusionnelle de Nina et Frédi qui pourrait survenir trop rapidement. Mais la petite histoire d’amour que développe Dupeyron ne décolle jamais et s’épanouit avant même le final raté ; Céline et Frédi sur une moto, les cheveux aux vents, parcourant la côte d’Azur. Une image qui nous rappelle d’emblée Mammuth de Benoît Delépine et Gustave Kevern, davantage réussi dans la traduction de son propos (à noter que le personnage de Frédi, mis à part la ressemblance physique avec celui de Gérard Depardieu dans Mammuth, campe un rôle radicalement différent). Mon âme par toi guérie  reste un film inégal, parcouru à la fois d'une sensation d’ennui et de pitié, subtilement rehaussée par l'interprétation de Grégory Gadebois, unique souvenir de cette aventure dépressive. 

Jeremy S.


Nina (Céline Salette) et Frédi (Grégory Gadebois)