samedi 29 mars 2014

Aimer, boire et chanter - Alain Resnais



Écrit et réalisé par Alain Resnais
Avec : Sabine Azéma, Hippolyte Girardot, Sandrine Kiberlain, André Dussolier... 
1h48
Sortie : 26 mars 2014

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Filmer, croire, et enchanter


« Aimer », « boire » et « chanter ». Trois verbes respirant la joie, le plaisir de vivre et un monde sans accrocs. Comme toujours chez Alain Resnais, ce n’est ni par une caméra, ni par un propos que son cinéma atteint des moments de grâce comique éblouissants, mais bien par ses acteurs, leur environnement et leur jeu, qui depuis Mélo (1986) ou Smoking/No smoking (1993), ne semble avoir subi aucune mutation.
Ce film qui succède à une œuvre majeure (Vous n’avez encore rien vu, 2012) diffère cependant des autres, précisément car il n’aura lui même aucun successeur. À l’image d’Éric Rohmer (dont le dernier film était perçu comme mineur), cet artisan de la nouvelle vague clôt sa filmographie sur une comédie « théâtrale » que l’on présuppose quelconque, mais qui en réalité, par ses thèmes abordés et la fraiche vitalité qui s’en dégage, engendre de grandes émotions terrassantes que peu de cinéastes contemporains ont su atteindre en ce début de siècle. Le piège dans lequel aurait pu tomber Alain Resnais aurait été la subtile comédie intellectuelle tamponnée nouvelle vague, par conséquent ringarde et ennuyeuse pour le jeune public d’aujourd’hui.

La jeunesse qui se dégage d’Aimer, boire et chanter apparaît en ce sens comme purement renouvelée et traversée d’influences appartenant aussi bien au passé qu’au jour d’aujourd’hui. Les horloges ne sont jamais à l’heure pour Colin (Hippolyte Girardot), le téléphone portable prend possession du corps de Jack (Michel Vuillermoz) et le lâche difficilement. Des petits aléas de la vie quotidienne qui passent sous le regard d’un vieil homme trouvant notre société toujours aussi mystérieuse et bizarroïde. Ce Georges Riley que nous attendons indéfiniment, gravement malade, semblant sur le point de mourir, n’est pas sans figurer à l’évidence le vieil Alain. Dans ces petites scénettes traversant les saisons, une atmosphère chaleureuse s’en empare, malgré l’absence de décors étant représentés uniquement par des feuilles de papier colorées « annonçant – littéralement - la couleur », et générant l'ambiance du moment. 

Colin (Hippolyte Girardot) et Kathryn (Sabine Azéma)

Les femmes, elles, paraissent encore plus rajeunies que les hommes. Leurs caractères restant relativement proches, Tamara (Caroline Silhol), Kathryn (Sabine Azéma) et Monica (Sandrine Kiberlain) vont former une bande à part et entrainer les hommes dans un ballet en surplace, les faisant jouer une véritable pièce et non celle qu’ils préparent hors champ. Ce comique de vaudeville tire de sa drôlerie une autre essence propre au cinéma de Resnais, venant rajouter une couche et améliorer sa mécanique si bien élaborée : le monologue en gros plan, substituant l’arrière plan réel à un quadrillage artificiel, renforce cette introspection et cette implicite psychologie des personnage ressemblant souvent à des marionnettes guidées. Les dialogues sont goulument versés et en deviennent aussi passionnant qu’une réelle discussion de familles sur n’importe quel sujet. Car nous le découvrons progressivement, le réel sujet enfoui d’Aimer, boire et chanter porte sur la mort, l’angoisse de disparaître un jour avec la frustration de ne pas avoir rempli toutes les cases. Le personnage de Monica (Sandrine Kiberlain) symbolise la naïveté de toute jeune femme à choisir sa voie, trouver son conjoint sans remettre les compteurs à zéro après la relation. L’ironique Simeon (André Dussolier), d’un air grave, tente de lui enseigner quelque chose qu’il n’a lui même, semble-t-il, jamais réellement vécu.

Tout ce défilé coloré et ces performances de jeu resteraient vaines si Resnais ne donnait pas un rythme subtilement cadencé à l’ensemble du film. Par les routes, par les airs, nous nous approchons du dessin d’une maison pour ensuite y pénétrer en prise de vue réelle. Ces raccords présents pour les changements de séquences stimulent notre intérêt pour l’observation de la scène, nous place du point de vue d’un spectateur de théâtre et non de cinéma : rarement les personnages sur l’écran auront à ce point été palpable chez Resnais, préférant le plan fixe et une composition ultra minimaliste du cadre pour nous y confronter plus facilement. L’apogée de ce dispositif, nous le retrouvons dans cette fameuse soirée se déroulant hors champ, sous les yeux de Jack assistant, comme nous, à une projection imaginaire, une image de sa conscience. Au fur et à mesure que les saisons passent, le temps et les sentiments changent, pour finalement atteindre un dénouement à la fois burlesque, naïf, d’une tristesse dans toute sa retenue. C’est dans ce moment là qu’Alain est le mieux présent. Cet Alain qui nous quitte avec une classe sans équivalent.

Jeremy S.

Monica (Sandrine Kiberlain) et Jack (Michel Vuillermoz)

jeudi 27 mars 2014

Real - Kiyoshi Kurosawa



Réalisé par Kiyoshi Kurosawa
Écrit par Kiyoshi Kurosawa, Sachiko Tanaka, Kazumi Matsuzawa...
D'après le roman de Rokuro Inui
Avec : Takeru Sato, Haruka Ayase...
2h07
Sortie : 26 mars 2014

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Celle qui voulait se souvenir

Atsumi et Koichi dînent à une table. Dans une atmosphère discrètement chaleureuse, Atsumi dit à Koichi qu’elle ressent l’impression « d’avoir toujours vécu ainsi ». Sommes nous dans une romance fleur bleue signée de la plume du réalisateur de l’impressionnant Shokuzaï sorti sur nos écrans l’année passée ? Tout en s’éloignant d’une radicalité et d’une froideur caractéristique de ses précédents films (à commencer par Cure et Kaïro), Kiyoshi Kurosawa nous livre un conte resplendissant visuellement, mais dont le fond et le parcours semblent déjà éculés, comme si l’adaptation paraissait fidèle dans un premier temps, faiblarde et académique dans un deuxième. Jouant sur la distinction réel/imaginaire, le cinéaste brasse paresseusement son univers et manque de susciter un questionnement essentiel sur ce qui nous est montré, menant presque à un ressenti d’indifférence dans la première heure.

Real n’est cependant pas un échec de son auteur, même si l’on connaît et l’on apprécie les dernières œuvres de sa filmographie distribuées en France. La fable de Kaïro (2001) se déroulait sur un modèle apocalyptique après l’avènement de l’informatique et de son emprise sur la jeune population, provoquant des suicides et des disparitions mystérieuses. Kurosawa maitrisait admirablement le registre fantastique et rendait son style aussi contemplatif que complexe. Real, loin d’être un film d’une simplicité désarmante, ne paraît jamais aussi prenant et profond que le propos de Kaïro. Même s’il faut reconnaître une certaine audace dans la caractérisation des personnages de Real (que ce soit Atsumi ou Koichi, les deux interprètes déploient un puissant jeu d’acteur reposant sur le malaise et l’incapacité à vivre dans leurs mondes respectifs), les rôles de ces derniers apparaissent tous tracés et peine à varier entre la première et l’ultime minute du film.

Atsumi (Aruka Ayase)

Sommes nous dans la réalité ou dans la conscience de son/sa bien aimé(e) ? Real traite cette question sagement, ne créant que peu d’ambigüité dans l’univers typique du cinéaste toujours aussi bien dessiné, relevant d’une beauté esthétique des plus fortes dans le cinéma asiatique de nos jours (la ville, le brouillard débouchant sur de grandes plaines vertes, l’apparition des fantômes et des hallucinations…). Mais où retrouver l’aura mystérieuse planante de Kaïro, l’horreur stagnante de Cure, la nostalgie de Shokuzaï ? Real est pourtant une histoire d’amour, passée et présente, mais dont le traitement manque constamment de détails et de pulsations nous permettant de communiquer avec le film. Le scénario, quant à lui, ne propose aucun détour, pas de hors piste ni même de lyrisme entièrement convaincant. Si le dénouement a le mérite de surprendre, il ne se revendique jamais d’un certain ludisme évident, évoquant par ailleurs la peur et l’angoisse enfantine, comme un retour aux sources et enfin une plaisante variation de l’aspect trop souvent grandiloquent du film. Kurosawa veut rester sur Terre, raconter une belle histoire tirée, sans aucun doute, d’un excellent roman.

Il serait pourtant injuste de bouder cruellement Real, logiquement pour toutes ces raisons. Le cinéma de Kurosawa se veut ici moins hermétique et plus occidental, élargissant son public et créant un lien solide avec tout spectateur venu chercher un conte alliant histoire d’amour à science fiction, réalisme à onirisme terre-à-terre. Perte d’atmosphère et de mise en scène introspective, gain de dynamisme et de fluidité de l’intrigue, Real se classe à part dans l’œuvre déjà grandiose du cinéaste, tout en maintenant un savoir faire que nous ne pourrions devoir à certains des plus grands réalisateurs occidentaux. Kurosawa évite de sombrer dans une piteuse naïveté et réalise une romance à portée universelle, ni plate ni profonde, loin de toute prétention, à moitié bouleversante.

Jeremy S.

Atsumi (Haruka Ayase) et Koichi (Takeru Sato)

vendredi 21 mars 2014

The Canyons - Paul Schrader



Réalisé par Paul Schrader
Écrit par Bret Easton Ellis
Avec : Lindsay Lohan, James Deen, Nolan Gerard Funk...
1h39
Sortie : 19 mars 2014

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Les déserteurs

La compatibilité de l’écrivain Bret Easton Ellis avec le scénariste/réalisateur Paul Schrader n’était pas assurée d’avance. L’échec monumental du Cartel de Ridley Scott l’an passé (écrit par Cormac McCarthy) pouvait très bien se répéter. Loin d’être l’œuvre culte sous entendue par la bande annonce et son casting, The Canyons peut tout de même se voir comme une critique virulente envers Hollywood, ses démons, et l’occupation de jeunesse américaine d’aujourd’hui. Lorgnant vers la fable noire 100% nihiliste, le film de Bret Easton Ellis (car c’est clairement de son univers qu’il s’agit ici) assène une atmosphère déprimante et glaciale dans un monde pathétique et régressif, laissant transparaître une humanité gélatineuse faite de toc.

Tara (Lindsay Lohan) mène une vie sans but : faire l’amour avec Christian (James Deen) et Ryan (Nolan Gerard Funk) traduit l’unique moment où son existence paraît trouver du sens. Se sentant utile et en adéquation parfaite avec le désir des hommes, Tara est obsédé par cette idée d’un amour mort, dont elle bavarde longuement avec sa copine Cynthia (Tenille Houston). Ces conversations, agaçantes et stupides, appuient cet effet de déambulation en spirale, où le parcours de chacun s’entrecroise sans pour autant provoquer de violentes collisions. Ce que The Canyons apporte de plus à la récente pitoyable adaptation de Roger Avary d’un roman d’Ellis (Les lois de l’attraction), est cette dramatisation des évènements amenée de manière angoissante, créant un suspense précisément là où il serait impossible d’en donner naissance. The Canyons débute comme un grand film d’atmosphère, dans un Los Angeles fantomatique où Hollywood brûle à petit feu. Par une musique électro discrète et planante, Schrader introduit cet aspect à la fois cool et terriblement vide de sens de la jeunesse américaine du siècle. Il suffit de voir ces magnifiques plans sur Christian roulant dans son bolide, se rendant chez Cynthia, et sortant de sa voiture en se prenant pour un dieu grec, veste et jean noir avec lunettes de soleil assortis. Dès lors, si le regard porté sur cette tranche d’âge paraît innocent et ridicule, la suite du film en démontre pourtant le contraire, avec une insolence exposant une détérioration progressive de l’âme de ces jeunes que nous suivons avec un profond sentiment d’angoisse.

Gina (Amanda Brooks) et Ryan (Nolan Gerard Funk)

Le film aspire ainsi à la monstration d'une vérité, d'un témoignage propre et cohérent à la vie réelle. Ellis n’a d’ailleurs pas l’ambition d’écrire un scénario aussi littéraire que ses œuvres. Car la thématique du cinéma est bien entendu un socle fondamental sur lequel se déroule cette odyssée cancérigène. The Canyons s’ouvre et se clôt par des plans à l’esthétique très laide d’une salle de cinéma ravagée, dans un monde post apocalyptique. Le sujet même de l’intrigue, quant à lui, parle d’un film en devenir. On pourrait même y déceler une subtile mise en abîme lorsque Christian annonce que l’humanité n’est qu’une foule d’acteurs jouant toutes sortes de rôles, s’éloignant parfois lointainement de la personnalité propre à chacun de nous. Cette croyance va ainsi mener Christian à changer sa fonction vitale intrinsèque : ne voulant plus jouer l’acteur dans la spirale, c’est le rôle du réalisateur que le jeune homme va chercher à atteindre, contrôlant cruellement ses amis et sa fiancée, par son esprit hautain et supérieur. Ellis justifie alors que cette humanité maladive qu’il décrit peut s’exacerber jusqu’à devenir monstrueuse et d’une violence engendrée par le sexe et les nouvelles technologies. Le personnage interprété par James Deen pourrait d’ailleurs faire écho à celui de Robert de Niro dans Taxi Driver (écrit par Schrader), dans une époque contemporaine mêlant sexe, argent et facebook.

Il manque malheureusement à cette œuvre une mise en scène plus âpre et immersive, afin d’impliquer davantage le spectateur étranger à la philosophie de l’écrivain. Bien que cette esthétique propre nuance habilement les paroles et les actions sales de l’entourage de Tara, un découpage moins saccadé aurait traduit d'une meilleure façon la lente évolution de ces personnages à peine perceptible. Toutefois, qui de nos jours à la faculté de présenter cette vie mortuaire avec autant de vérité, de violence et de tristesse ? Roger Avary et ses effets de style outranciers ne produisaient que du faux, de l’ennui et un désintérêt total de la théorie nihiliste de l’auteur. Puisse le tandem Schrader/Ellis répéter plus habilement cette expérience aux bases solides mais à la réalisation passable, pour enfin mettre en images dignement l’univers littéraire du grand monsieur.

Jeremy S.

Tara (Lindsay Lohan) et Christian (James Deen)

mercredi 19 mars 2014

Wrong Cops - Quentin Dupieux



Écrit et réalisé par Quentin Dupieux
Avec : Mark Burnham, Eric Judor, Eric Wareheim, Marilyn Manson...
1h23
Sortie : 19 mars 2014

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Wrong way


En moins d’une décennie, Quentin Dupieux a su imposer son renouveau du cinéma comique français anti balisé, dynamitant des frontières déjà explorées pour mettre à nu un nouvel art hybride, résultant autant d’influences artistiques que de digressions métaphysiques : la comédie surréaliste, reposant sur du « non-sens », la « no reason » défendue par l’esprit dérangé du compositeur/cinéaste. Wrong Cops, contre toute attente, paraît moins déjanté et complexe que Rubber et Wrong. Se recentrant uniquement sur le territoire des flics, déjà critiqué et parodié sauvagement dans ses autres films, Dupieux parvient à rétablir une cohérence dans son univers filmique au charme foutraque et désordonné.

Le revers de la médaille se propage malheureusement dans l’immédiat. L’habile jeu sur le spectateur de Rubber ou les différents univers esthétiques mis en scène dans Wrong laissent place à une comédie vulgaire et potache de quatre vingt minutes, n’allant nulle part et ne disant rien. Un pur délire ? Nous n’en sommes jamais loin, même si l’importance primordiale de la musique et des caractères originaux des personnages propres à Dupieux maintiennent Wrong Cops dans la droite lignée d’un surréalisme sous entendu. Mais c’est en en montrant moins que Dupieux s’enferme dans une catégorie, s’auto balise inconsciemment. Wrong Cops repose effectivement en grande partie sur le dialogue, plus que sur une esthétique désopilante dans laquelle se fondait toute la force de son cinéma.

David Dolores Frank (Marilyn Manson) et Duke (Mark Burnham)

Rough (Eric Judor) le pirate musicien, Duke (Mark Burnham) le balèse insolent, ou encore Renato (Eric Wareheim) l’obsédé sexuel, sont des flics ripoux débiles vivant dans leur monde sans manifester le moindre attrait pour le monde normal des civils. Ce sont des animaux cloîtrés dans un zoo dont l’évasion demeure impossible, et où toute espérance de succès est suivie d’un échec spontané. Le montage véloce et l’enchaînement mécanique des scénettes du film participent à ce tourbillon en sur-place des actions de ces bêtes infâmes et vulgaires, n’étant là que pour crier ô combien la vie est source d’emmerdes. Le suicide de l’un des leurs justifie un climax attendu et décevant, demeurant cependant anti moralisateur. Nous ne perdons pas nos repères, et assistons passivement aux aventures (parfois lourdingues et manquant presque de « too much ») de Duke et Rough comme dans une comédie conventionnelle, certes sale et jouissive, mais perpétuellement en dessous de nos attentes pour une oeuvre signée Dupieux.

Plus que mineur, Wrong Cops apparaît comme un petit film indépendant anecdotique, traversé par une vision cruelle d’un artiste marginal en manque d’inspiration. Car si Dupieux est au cinéma français ce que le rap est à la musique, la qualité de ce dernier film n’est clairement pas évaluable. Les rumeurs circulant à propos de l’avenir de sa carrière convergent cependant vers de bonnes nouvelles, justifiant Wrong Cops comme un bouche trou pour combler l'attente d'un grand film. Finalement inutile et ne servant qu’à rabaisser le talent prometteur du cinéaste. « Show me your breasts ! » devrait alors se substituer par un « Show us that you still have balls, man ! », canon pointé sur la tête de Mr Oizo.

Jeremy S.