jeudi 27 mars 2014

Real - Kiyoshi Kurosawa



Réalisé par Kiyoshi Kurosawa
Écrit par Kiyoshi Kurosawa, Sachiko Tanaka, Kazumi Matsuzawa...
D'après le roman de Rokuro Inui
Avec : Takeru Sato, Haruka Ayase...
2h07
Sortie : 26 mars 2014

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Celle qui voulait se souvenir

Atsumi et Koichi dînent à une table. Dans une atmosphère discrètement chaleureuse, Atsumi dit à Koichi qu’elle ressent l’impression « d’avoir toujours vécu ainsi ». Sommes nous dans une romance fleur bleue signée de la plume du réalisateur de l’impressionnant Shokuzaï sorti sur nos écrans l’année passée ? Tout en s’éloignant d’une radicalité et d’une froideur caractéristique de ses précédents films (à commencer par Cure et Kaïro), Kiyoshi Kurosawa nous livre un conte resplendissant visuellement, mais dont le fond et le parcours semblent déjà éculés, comme si l’adaptation paraissait fidèle dans un premier temps, faiblarde et académique dans un deuxième. Jouant sur la distinction réel/imaginaire, le cinéaste brasse paresseusement son univers et manque de susciter un questionnement essentiel sur ce qui nous est montré, menant presque à un ressenti d’indifférence dans la première heure.

Real n’est cependant pas un échec de son auteur, même si l’on connaît et l’on apprécie les dernières œuvres de sa filmographie distribuées en France. La fable de Kaïro (2001) se déroulait sur un modèle apocalyptique après l’avènement de l’informatique et de son emprise sur la jeune population, provoquant des suicides et des disparitions mystérieuses. Kurosawa maitrisait admirablement le registre fantastique et rendait son style aussi contemplatif que complexe. Real, loin d’être un film d’une simplicité désarmante, ne paraît jamais aussi prenant et profond que le propos de Kaïro. Même s’il faut reconnaître une certaine audace dans la caractérisation des personnages de Real (que ce soit Atsumi ou Koichi, les deux interprètes déploient un puissant jeu d’acteur reposant sur le malaise et l’incapacité à vivre dans leurs mondes respectifs), les rôles de ces derniers apparaissent tous tracés et peine à varier entre la première et l’ultime minute du film.

Atsumi (Aruka Ayase)

Sommes nous dans la réalité ou dans la conscience de son/sa bien aimé(e) ? Real traite cette question sagement, ne créant que peu d’ambigüité dans l’univers typique du cinéaste toujours aussi bien dessiné, relevant d’une beauté esthétique des plus fortes dans le cinéma asiatique de nos jours (la ville, le brouillard débouchant sur de grandes plaines vertes, l’apparition des fantômes et des hallucinations…). Mais où retrouver l’aura mystérieuse planante de Kaïro, l’horreur stagnante de Cure, la nostalgie de Shokuzaï ? Real est pourtant une histoire d’amour, passée et présente, mais dont le traitement manque constamment de détails et de pulsations nous permettant de communiquer avec le film. Le scénario, quant à lui, ne propose aucun détour, pas de hors piste ni même de lyrisme entièrement convaincant. Si le dénouement a le mérite de surprendre, il ne se revendique jamais d’un certain ludisme évident, évoquant par ailleurs la peur et l’angoisse enfantine, comme un retour aux sources et enfin une plaisante variation de l’aspect trop souvent grandiloquent du film. Kurosawa veut rester sur Terre, raconter une belle histoire tirée, sans aucun doute, d’un excellent roman.

Il serait pourtant injuste de bouder cruellement Real, logiquement pour toutes ces raisons. Le cinéma de Kurosawa se veut ici moins hermétique et plus occidental, élargissant son public et créant un lien solide avec tout spectateur venu chercher un conte alliant histoire d’amour à science fiction, réalisme à onirisme terre-à-terre. Perte d’atmosphère et de mise en scène introspective, gain de dynamisme et de fluidité de l’intrigue, Real se classe à part dans l’œuvre déjà grandiose du cinéaste, tout en maintenant un savoir faire que nous ne pourrions devoir à certains des plus grands réalisateurs occidentaux. Kurosawa évite de sombrer dans une piteuse naïveté et réalise une romance à portée universelle, ni plate ni profonde, loin de toute prétention, à moitié bouleversante.

Jeremy S.

Atsumi (Haruka Ayase) et Koichi (Takeru Sato)

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