mardi 15 octobre 2013

Prisoners - Denis Villeneuve



Réalisé par Denis Villeneuve
Écrit par Aaron Guzikowski
Avec : Hugh Jackman, Jake Gyllenhaal, Maria Bello, Paul Dano...
2h33
Sortie : 9 octobre 2013

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Les frissons de l'angoisse


Tout commence dans la banlieue de Boston, lors d’un après midi grisâtre typiquement américain. Les Dover et les Birch sont ensemble, discutent et rigolent, jusqu’à une terrible découverte : la disparition d’Anna et Joy, leurs deux filles tout juste âgées de 6 ans. Il y a d’ores et déjà quelque chose de grand, quelque chose de puissant dans ces magistraux plans d'ouverture, nous indiquant que l’homme derrière la caméra n’est pas un débutant, mais bien un expert du genre. Denis Villeneuve, acclamé pour le magnifique Incendies (2009), tente cette année une première expérience hollywoodienne. Annoncé par la presse américaine comme le digne descendant des immenses Zodiac (David Fincher, 2007) et Mystic River (Clint Eastwood, 2003), Prisoners s’en émancipe néanmoins avec brio.

Cela faisait plusieurs années qu’un tel long thriller n'avait à ce point captivé. Captivé d’abord par son scénario retors en zigzags, mais également par la puissance de jeu des deux acteurs principaux, Hugh Jackman (le père de famille) et Jake Gyllenhaal (le flic). Par leur présence massive et extrêmement vivante à l’écran, leurs personnages prennent d’emblée une profondeur démesurée, harponnant notre regard pendant plus de deux heures, sans jamais tomber dans l’exagération ou l’incohérence primaire de leurs rôles respectifs. Jake Gyllenhaal (inspecteur de police, personnage directement emprunté à celui de Zodiac), est un flic intelligent et dérangé par le monde qui l’entoure. Un monde sauvage et déstabilisant, rendu glaçant par la caméra de Denis Villeneuve. Les deux hommes évoluent et s'affrontent progressivement dans une mise en scène stable et millimétrée, parcourant les sentiers du petit village comme le territoire de l’enfer. Une croix pendue dans la voiture de Keller Dover justifie, comme d’autres éléments constitutifs du cadre, la place prépondérante du démiurge en amont du drame et de l’enquête. Prisoners est un film sur la façon de combattre le mal, de la manière la plus brutale à la plus sage.

Keller Dover (Hugh Jackman) et Alex Jones (Paul Dano)

C’est précisément la question que nous pose l’intégralité du film : « Le feriez-vous ? ». En ce sens, le décollage de Prisoners vers les sommets de l’art du thriller perdu depuis une dizaine d’années ne se fait pas attendre longtemps, et passionne dès le premier retournement. Evitant judicieusement les twists  lancés comme des bombes, Denis Villeneuve construit une œuvre d’atmosphère dont le malaise opère au bout de quelques minutes. Points de vues subjectifs, points de vues omniscients, la mise en scène se confond par moment de façon radicale, nous faisant penser que le cadre ne possède pas de refuge. Car le refuge, qui pourrait se traduire par les personnages secondaires (la femme de Dover et l’autre famille) est vite mis de côté pour se focaliser uniquement sur les deux pièces maîtresses, le détective et le justicier, à la confrontation proche mais séparés par une frontière imaginaire jusqu’à la fin du film. Nous assistons, impuissant face aux grandes scènes qui se déroulent sous nos yeux, à la grande plongée sombre d’un honnête homme. L’empathie que recherche le cinéaste pour ses personnages est implicite. Tel une méthode pour faire participer le spectateur à l’enquête, sans jamais le prendre par la main, mais en lui faisant adopter un point de vue fermé sur l’extérieur (ce que Lars Von Trier faisait brillamment avec Nicole Kidman dans Dogville). Hugh Jackman explosant de fureur, et brisant un lavabo avec une rage inouïe, le tout en plan fixe, montre bien à quel point le réalisateur québécois cherche à nous heurter. Sans aucune intention malsaine, les scènes de torture et d’interrogatoire se retrouvent noyées dans le tourbillon d’évènements qui surviennent sans bachotage. Le film enchaîne toutes ses scènes d’une égale puissance, de façon aussi languissante que Seven de David Fincher.


Nancy Birch (Viola Davis), Loki (Jake Gyllenhaal), Franklin Birch (Terrence Howard)

L’appréhension du final, quant à elle, ne se resserre qu’au dernier moment et parvient à larguer son spectateur, même après sa résolution. Le génie de Denis Villeneuve est à l’évidence de centrer son approche sur l’humain, le mal, la violence, plus que sur une enquête classique avec des personnages archétypaux. Prisoners n’est ni une œuvre symbolique ou psychologique, mais bien une œuvre d’appoint dans le paysage des thrillers américains de nos jours. Il faut noter les rumeurs précédent le casting définitif du film, qui en plus de s’annoncer alléchantes provoquait également une certaine question sur la façon dont Denis Villeneuve pourrait travailler avec ces grands comédiens (la même question se pose pour le prochain film de Bong Joon-ho, Le Transperceneige). Le résultat est là, d'une beauté admirable et jouissive : Prisoners, grand thriller américain réalisé par un cinéaste québécois, fait d’ores et déjà partie du panthéon des films du genre. 

Jeremy S.


Grace Dover (Maria Bello), Anna Dover (Erin Gerasimovich), Keller Dover (Hugh Jackman) et Ralph Dover (Dylan Minette)


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