vendredi 25 octobre 2013

Gravity - Alfonso Cuarón



Écrit et réalisé par Alfonso Cuarón 
70ème Mostra de Venise - Film d'ouverture
Avec : Sandra Bullock, George Clooney, Ed Harris...
1h30
Sortie : 23 octobre 2013

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La loi de l'attraction

 Cet article dévoile des éléments clés de l'intrigue. 

La Terre est là. Nous l’observons, émerveillés comme les deux astronautes. Cette Terre nous semble à la fois proche et lointaine, comme si nous étions dans un entre deux mondes. Le nouveau film d’Alfonso Cuarón (réalisateur de l’excellent Les Fils de l’homme, 2008) est un ovni hollywoodien sorti non pas de l’industrie mais bien des idées brillantes du cinéaste mexicain. A l’heure d’aujourd’hui où la science fiction semble en perte de vitesse (mis à part le Star Trek Into Darkness de J.J Abrams), Gravity est une surprise des plus belles de l’année 2013. D’un genre proche de celui de la science fiction, le film en est cependant rigoureusement éloigné. L’expérience que nous fait vivre Cuarón n’a encore jamais été vue,  encore moins vécue dans une salle de cinéma. 

Deux gens bavards flottent dans l’espace, en orbite, tentant de réparer un télescope. Le plan séquence d’ouverture de Gravity (durant près de quinze minutes) restera un grand moment de la décennie : tel un satellite, la caméra survole le vaisseau, prend du recul, et nous met littéralement la tête à l’envers, avec une sensation de vertige des plus impressionnantes. Quatre ans après Avatar de James Cameron, la 3D semble à nouveau retrouver sa puissance primaire : immerger et agripper son spectateur sans contact physique avec la matière filmée. Nous pouvons aussi appeler cela, plus simplement, le spectacle. Gravity n’est pas un film à suspense, ni un divertissement, mais bien une expérience cinématographique hors normes. Le pari réussi du film est bien de donner à vivre, au grand public, une aventure inoubliable dans les étoiles traduite par une mise en scène et un scénario d’une simplicité déconcertante. Nous pourrions presque qualifier Gravity de blockbuster minimaliste, si les nombreux effets spéciaux avaient été rendus moins réalistes et bluffant. Tourné dans une boîte de trois mètres cube, lieu de tournage minuscule, le résultat paraît infiniment grand et extraordinaire. Le génie de la technique contemporaine s’accole directement à celui de la narration rabotée intelligemment, comme si Cuarón ne voulait pas paraître plus fort, plus malin qu’il ne l’est. Le scénario peut ainsi se résumer en une vingtaine de mots : « Le docteur Ryan Stone et l’astronaute Matt Kowalsky, suite à une tempete dévastatrice détruisant leur vaisseau, errent dans l’espace. » Une errance, c’est précisément ce que raconte Gravity, en particulier celle de Ryan Stone, à peine âgée d’une trentaine d’années et déjà face au couloir d’une mort certaine.


Ryan (Sandra Bullock) et Matt Kowalsky (George Clooney)

La fable existentialiste que soulève le film ne se distingue pas immédiatement, mais devient par la suite la meilleure façon de définir ce que vit Ryan. À l’intérieur de son scaphandre, nous sommes Ryan. L’attraction à laquelle nous invite le cinéaste est parfois purement ludique, mais aussi paradoxalement réaliste et effrayante. En plus d’être un survival, Gravity ne revendique jamais son appartenance à un genre prédéfinit : nous en revenons toujours au spectacle, à l’attraction, à l’expérience.

En ce sens, Gravity ne possède pas d’antécédents. La comparaison avec 2001 : l’odyssée de l’espace est impertinente, en partie à cause du côté mystique et fantastique totalement absent du film de Cuarón. Gravity pourrait effectivement se dérouler aujourd’hui. Si nous sommes subjugué par la plupart des scènes, c’est d’abord grâce à la mise en scène du cinéaste sublimant cet environnement. L’on retiendra la scène de tempête de météores, ou encore celle de la rupture, qu’il serait injuste de divulguer. Si les quarante premières minutes se déroulent à l’extérieur du vaisseau, l’autre partie du film nous y fait pénétrer. Sandra Bullock flottant en petite tenue tel Sigourney Weaver dans Alien de Ridley Scott apparaît comme une entité pleinement humaine et nourricière. Elle pourrait symboliser Ève, le dernier espoir de renaissance. Un thème central de Gravity, qui se présentera dans l’ultime partie : celle du retour sur la terre ferme. La grande surprise du film, qui ne séduira probablement pas tout son public. Au bout d’une heure quinze de projection, Cuarón souhaite nous faire redescendre. Le final, époustouflant, demeure aussi terriblement inférieur au reste du spectacle. La grosse machine hollywoodienne reprend possession du corps du cinéaste, néanmoins sans l’engloutir totalement. L’empathie avec Ryan s’étant développé précédemment, jusqu’à atteindre le stade de fusion spectateur/personnage est donc parfaitement justifiable. Le plan de Ryan rentrant dans le vaisseau, enroulée comme un fœtus, en plus d’être un clin d’œil au géant (Stanley Kubrick) est aussi annonciateur de ce final laissant perplexe. L’océan dans lequel tombe Ryan n’est autre que le liquide amniotique, et sa remontée à la surface une symbolique de l’accouchement.

Ryan Stone (Sandra Bullock)

Cet aspect du film contraste brillamment avec le réalisme de l’expérience qui nous est d’abord exposé. Si le cinéaste choisit de ramener sur Terre son personnage, c’est aussi dans l’objectif de poétiser cette aventure, briser les caractéristiques du survival, et bien entendu émerveiller son public, comme la fin d’un opéra. Le dernier plan (évoquant quelque part celui de The Tree of Life de Terrence Malick), une contre plongée montrant Ryan se relever sur le sable d’un ilôt, est un triomphe de la divinité mise sous veilleuse dans les autres parties. La dimension métaphysique de Gravity, aux antipodes de celle de 2001 : l’odyssée de l’espace, émeut tout autant. Cette émotion, nous ne l’avions pas ressenti depuis de nombreuses années. 
Si Gravity demeure imparfait, intriguant, ou encore légèrement trop court (deux heures avec plus de plans contemplatifs dans l’espace n’auraient pas été de trop), il est aussi le témoignage d’un renouveau du cinéma américain , ou plus généralement, d’un grand pas en avant pour le septième art.

Jeremy S.


Ryan Stone (Sandra Bullock)

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