jeudi 12 février 2015

Il est difficile d'être un Dieu - Alexei Guerman



Réalisé par Alexei Guerman
Écrit par Alexei Guerman et Svetlana Karmalita
Avec : Leonid Yarmolnik, Aleksandr Chutko...
2h50
Sortie : 11 février 2015

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Freaks


En apparence, ce milieu ressemble à la Terre. Néanmoins, c'est sur une autre planète que débarque notre petite troupe de guerriers russes dont la peur et l'excitation se lisent sur le visage, dans un noir et blanc spectral dépeignant une atmosphère post apocalyptique chargée d'un désespoir contaminant. Difficile de pénétrer dans cette œuvre – dont on peut se douter de l'exigence qu'elle requiert - faisant un violent bras d'honneur à la narration classique, mettant ainsi son spectateur dans une situation plus inconfortable et anesthésiante que délicieusement mystérieuse. Ne croyons pas que cette position ne se maintiendra que sur les dix premières minutes, car c'est sur près de trois heures qu'Alexei Guerman cherchera à nous faire vivre une expérience à l'apparence ringarde, mais qui trouvera contre toute attente une singularité exemplaire sur un terrain d'exploration abrupt et écœurant. 

L'intérêt d'observation se manifeste ainsi par une mise en scène créative en permanence, ne se reposant jamais et fonçant tout droit vers une multitude de climax dont nous espérons souvent voir la fin, constamment démentie par la capacité du film à repousser ses ambitions toujours plus loin. Boue, crasse, merde, animaux et membres tranchés en pleine époque d'une guerre moyen-âgeuse anachronique entament un défilé absurde, montré avec un réalisme halluciné dans une immersion que Guerman ne cherche jamais à soutenir par une piste musicale. Dans une ambiance horrifique et souvent claustrophobe, l'aventure contée ici ne s'encombre jamais du moindre programme et ne suit pas des rails comme en atteste le sérieux d'un pan du cinéma russe ; le film s'affiche clairement comme l'anti feu d'artifices, puissamment rigoureux comme le laisse suggérer son titre. Un joyeux bordel où il est facile de se perdre ou au contraire de s'y retrouver comme un tierce visiteur : dans ces quelques regards caméras, les plans d'Alexei Guerman captivent et prennent une toute autre ampleur, différente et démesurée mais au grand jamais gratuite et inférieure au style originel du cinéaste. Les plus hermétiques y verront une porte d'entrée, les plus fascinés une avancée et un double sens discursif des pitreries de toutes les situations. Si le film s'enrobe d'un propos opaque et difficilement compréhensible (on peut y voir toutes sortes de critiques sur la société contemporaine, bien souvent grossières et peu pertinentes), c'est dans l'affect et la sensation que Guerman semble vouloir percer, à l'instar du récent Under the skin de Jonathan Glazer ou Enter the void de Gaspar Noé. Cinéma de la gerbe ne rime cependant pas en permanence avec cinéma des sens, et si les intentions peuvent être louables, les effets secondaires ne doivent pas se faire oublier. A vouloir naïvement trop remplir son cadre, le film ne pense pas toujours à traîner son spectateur comme un boulet solidement amarré ; ainsi, les rares moments de calme, les plus beaux parmi ces séquences hyperactives, ne se dévoilent qu'à la toute fin du voyage et peinent à convaincre suffisamment le spectateur dubitatif pour un rejugement de l'expérience aussi traumatique que déstabilisante. Une œuvre testamentaire dont la valeur devra nous être démontrée par ses plus fervents défenseurs, au risque de finir aux oubliettes.

Jeremy S.


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