lundi 5 mai 2014

Joe - David Gordon Green



Réalisé par David Gordon Green
Écrit par Gary Hawkins
Avec : Nicolas Cage, Tye Sheridan...
1h57
Sortie : 30 avril 2014

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Sons of Texas

Mud – sur les rives du Mississipi de Jeff Nichols paraissait être, dès la sortie de la bande annonce de Joe, une des principales inspirations et influences pour le neuvième film du jeune cinéaste à la filmographie éclectique et peu convaincante. Moins d’un an après Prince of Texas (2013), Gordon Green continue l’exploration de cet État sous un autre angle, brut et violent, délaissant le côté comique et poétique de son avant dernier film (hors des sentiers battus de la comédie américaine et plus spécifiquement du « buddy movie » (film de potes)).

Gordon Green s’attache ici à nous raconter l’histoire de deux hommes dont la condition sociale et la personnalité semblent en premier lieu diamétralement opposées. Sans surprise, Gary (Tye Sheridan) et Joe (Nicolas Cage) vont s’associer et se compléter pour arriver tous deux à leur but ultime : celui de « vivre » en paix en occultant les forces du mal omniprésentes dans le bayou. Le père de Gary en est certainement la plus représentative, tant par la violence qui se dégage de son personnage que par un jeu d’acteur poussé à l’absurde, terrifiant et antipathique. L’alcool en est bien entendu le responsable, non seulement pour la situation du père de Gary mais aussi pour celle de Joe, et plus généralement de tous les habitants du village. Rongés et soumis à la boisson, ces derniers (sur)vivent dans une atmosphère boueuse, noirâtre et sombre, dont la sortie semble impossible. Joe est donc, comme Prince of Texas, un huis clôt étouffant reprenant pendant la totalité du film les mêmes lieux, les même situations, et évitant subtilement la répétition mécanique des péripéties.

Joe (Nicolas Cage) et Gary Jones (Tye Sheridan)

En prenant Gary sous son aile, Joe va vite prendre conscience du sens même de sa triste existence. Sortant à peine de prison, Joe rencontre de nombreuses difficultés à sa réintégration dans la vie courante, mais parvient néanmoins à contrôler ses accès de violence fulgurants émanant de son cerveau bouillonnant. Cette sublime scène où Joe se réfugie dans une maison de prostituées pour retenir sa colère et son animalité fonctionne à double sens : d’une part Joe s’acharne sexuellement sur une femme pour annihiler sa colère, d’autre part il revêt un autre costume, celui de la victime faiblissant devant sa raison, une sorte d’automutilation. Nicolas Cage obtient avec ce rôle l’un des plus marquants de sa carrière jusqu’à aujourd’hui, cinquantenaire barbu au bord du gouffre, dépressif et rendu fou par l’alcool (finalement un personnage peu éloigné du Bad Lieutnant de Werner Herzog).

À l’histoire de Joe vient se greffer celle de Gary, adolescent cherchant à travailler et gagner sa croûte dans l’objectif de sauver sa famille. Témoignant d’une rare maturité pour son jeune âge, l’interprétation de Tye Sheridan témoigne ici d’une perfection proche de celle du rôle d’Ellis dans Mud. Gary n’est pas un jeune homme de 15 ans, mais bien un adulte précoce défiant le caractère de Joe et étant cruellement contaminé par toute la violence du village, corrosive comme une forte maladie contagieuse. La place des femmes dans le film démontre assez justement le côté animal du territoire, par leur présence peu soulignée, dont le rôle demeure uniquement d’aider les bons face aux méchants. Le manichéisme évident de Joe n’est autre que la vision de Gary face aux aventures de Joe dont il reste d’abord exclu, mettant le spectateur à la place de l’adolescent sans pour autant lui faire éprouver une complaisance envers la situation de Gary. Car c’est de plainte et de rage que le visage du garçon est souillé, et non de crainte et de peur comme un point de vue naturaliste aurait pu l'exposer. 

Wade Jones (Gary Poulter)

L’idée de l’échafaudage d’une tragédie contemporaine, sans doute la meilleure de Joe, retombe malheureusement dans un dénouement trop convenu lors des dix dernières minutes, anti spectaculaire et se voulant réaliste, certes, mais poussant trop loin le curseur de la vengeance empathique et désinvolte. Gary a bel et bien grandi et tiré des leçons de son mentor Joe, mais n’était-ce pas aussi la finalité annoncée dès les premières minutes, au moment de la rencontre des deux protagonistes ? La prévisibilité du scénario, lorsqu’elle comporte autant de belles scènes que de surprises dans la caractérisation de ces personnages, n’est en soit pas dérangeante. Quant à la mise en scène de Gordon Green, brute et sèche,  elle ne redore pas pour autant le blason du cinéma indépendant américain de notre époque, comportant toujours de fortes qualités mais manquant d’afficher un message plus fort et personnel pour des scénarios à fort potentiels, comme l’étaient Mud ou Shotgun stories de Jeff Nichols. Beau numéro d’acteurs, sublime dépaysement des abîmes du Texas, Joe n’en demeure pas moins plus classique que classieux, moins rude qu’il n’aurait du l’être sous la caméra peu affûtée de David Gordon Green.

Jeremy S.

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