jeudi 25 juillet 2013

Le Congrès - Ari Folman



Ecrit et Réalisé par Ari Folman
D'après le roman Le Congrès de futurologie de Stanislas Lem
Festival de Cannes 2013 : Quinzaine des réalisateurs - Film d'ouverture
Avec : Robin Wright, Danny Huston, Paul Giamatti...
2h00
Sortie : 3 juillet 2013

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Le Bal de l'actrice


Il aura fallut cinq ans au talentueux réalisateur iranien pour nous concocter l’après Valse avec Bachir (2008). Le Congrès, fruit de cinq années de gestation, n’est pas une suite conventionnelle dans l’œuvre d’Ari Folman. Ce n’est pas un nouveau film d’Ari Folman, mais un film d’un nouveau Ari Folman. Après la guerre au Liban, il s’attaque à un sujet tout aussi ambitieux, et bien plus casse gueule : l’acteur de cinéma. Pas de doute, l’image que nous nous sommes faite du réalisateur à la sortie de Valse avec Bachir sera à des années lumières de celle du Congrès.

Robin Wright (jouant son propre rôle) se voit proposée d’un passage au scanner. La première moitié du film explore cette idée, de sa naissance à sa concrétisation. Car Robin Wright va mettre du temps à accepter une telle chose, n’étant autre qu’une mort prématurée. Plus tard, les spectateurs continueront de voir Robin Wright à 40 ans, aux seins fermes, à la peau douce, aux yeux pétillants. « Nous voulons posséder cette chose appelée Robin Wright » dit Jeff Green (Danny Huston), embarrassé. Que deviendra alors la vraie Robin Wright ? Une sorte de femme au foyer, qui s’occupera d’Aaron, son fils, dont le médecin (Paul Giamatti) prédit qu’il deviendra sourd et aveugle. Cette première partie n’est pas de l’anticipation : elle se déroule de nos jours. Folman construit dés lors un espace vide, triste, où pas moins de dix personnes déambulent devant le regard troublé de Robin. Les scènes dialoguées apparaissent comme des moments de haute tension, où seule la voie du producteur Jeff Green et celle de l’actrice résonne dans un abîme engloutissant littéralement toute humanité : Miramount Pictures. Quelquefois, Folman sort les grands violons, pour ne les faire durer que quelques secondes. Dans ce monde, la musique est aussi éphémère que le sourire des personnages. Finalement, Robin Wright se retrouvera coincée, avec d’un côté le refus d’exploitation de son image, de l’autre le désir de soigner Aaron. Elle va alors conclure un réel pacte avec le diable (Danny Huston évoque clairement Méphisto) et rentrer dans la machine qui l’emprisonnera à vie. Arrive alors la scène centrale du Congrès, d’une puissance monumentale. Scanner les différentes expressions, « échantillonner » Robin Wright, sera une tâche difficile. Al (Harvey Keitel) tentera de raconter un évènement, directement tiré de sa vie personnelle. Du fou rire aux torrents de larmes, Robin Wright va ressentir en cinq minutes ce qu’elle pourrait ressentir en une vie.

Robin Wright, l'échantillonage

Robin Wright

Jamais son interprétation n’avait atteint une telle perfection, une telle émotion, un tel bouleversement. Durant ces plans, nous arrivons à douter de Robin Wright. Est-elle dans la peau de son personnage, où réellement dans la sienne ? En quelques secondes, Folman redéfinit la condition et le squelette de l’acteur de cinéma. En écoutant l’histoire d’Al, il est possible que nous ressentions la même chose que l’actrice. Folman abolit la frontière acteur/spectateur, et nous hypnotise mieux qu’un bon magicien, à la manière d’un Takovski (Solaris) ou d’un Kubrick (2001).

Avons nous vu le meilleur du Congrès ? Cette partie du film, ne durant en réalité que quarante cinq minutes, sera suivie par un déluge totalement inattendu. Ce dernier nous entrainera au plus profond du vortex imaginé par Stanislas Lem, l’auteur du Congrès de futurologie. Folman n’a en effet décidé d’adapter que cette partie du roman, la première étant donc écrite de sa main. Trente ans plus tard, Robin Wright ira faire un tour dans la « zone d’animation ». Une attraction future, similaire au Disneyland que nous connaissons aujourd’hui.
Nous pénétrons alors dans un univers entièrement dessiné, extrêmement coloré, paradoxalement effrayant. Folman redéfinit alors la science fiction à son goût, tout en gardant les thématiques essentielles, nous rappelant parfois Donnie Darko (un film de SF qu’il vénère). Robin Wright va découvrir mille autre Robin Wright, va se perdre, se faire aspirer dans ce grand tourbillon où la plupart des habitants lui sont hostiles. Ces habitants qui sont en fait des victimes de la terrible illusion, où le spectateur de cinéma est remplacé par le réalisateur même. Dans ce monde, tout est possible, tant et si bien que l’illusion se dissipera au fur et à mesure du voyage et deviendra alors une véritable matrice. L’effet d’hallucination qu’expose et produit Folman n’est en réalité que le fruit de nous même, dans un univers d’une beauté anarchique. Intéressante oxymore, déjà présente dans Valse avec Bachir avec cette fameuse scène de soldats nus sortant de l’eau.

Robin Wright et Jeff Green (Danny Huston)

Robin Wright

Le Congrès s’impose comme une œuvre visionnaire. Le film d’animation, nous le découvrirons par la suite, est inclue dans le monde réel, à l’inverse de ce que nous pourrions imaginer quand Robin Wright se retrouve prise au piège. Car pendant plusieurs décennies d’exil, elle n’oubliera jamais sa Terre natale, surtout ses enfants. Folman choisit de conclure avec un retour à la réalité des plus terrifiant, comme il l’avait brillamment fait surgir par surprise dans Valse avec Bachir. Robin Wright a changé, l’actrice est devenue une clocharde que personne ne reconnaît. Avec le recul, elle regrettera finalement son geste, celui d’avoir abandonné le monde animé. Le spectateur aussi, qui aura vécu durant ce moment une jouissance extrême devant cette déflagration de couleurs, d’émotions, atteignant son apothéose avec Forever Young chanté par Robin Wright elle même.

Absent de la compétition officielle cannoise, Le Congrès est un chef d’œuvre passé quasi inaperçu sur la croisette. Artiste visionnaire, Ari Folman confirme sa maîtrise incroyable du film d’animation, et démontre par ailleurs ce dont il est capable avec un sujet mis en abîme, où l’acteur n’est plus, où l’humain survit. L’iranien a su s’imposer, nous bluffer, et nous mettre au tapis face à une expérience enivrante d’une ampleur démesurée.

Jeremy S.


Robin Wright

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