dimanche 15 septembre 2013

Jimmy P. (Psychothérapie d'un Indien des plaines) - Arnaud Desplechin



Écrit et réalisé par Arnaud Desplechin 
d'après Psychothérapie d'un Indien des plaines de Georges Devereux
Festival de Cannes 2013 - Compétition Officielle
Avec : Benicion del Toro, Mathieu Amalric, Gina McKee, ...
1h56
Sortie : 11 septembre 2013

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Thérapie amicale
 
   Si le rythme de travail d'Arnaud Desplechin est aussi long, c'est que le cinéaste ne cesse de creuser son histoire, d'explorer tout ses personnages, d'en connaître chaque recoin, encore et encore, jusqu'à l'épuisement du sujet. Il aura fallut cinq ans au réalisateur pour explorer toutes les richesses du roman de Georges Devereux Psychotérapie d'un Indien des plaines, publié en 1951. Desplechin déclare « être devenu fou » du livre, qu'il pensait adapter depuis longtemps. Si la psychanalyse n'est pas un sujet nouveau au cinéma (on se souviendra de A Dangerous Method de David Cronenberg), son traitement est toujours complexe tant la matière peut sembler abscons. Cependant, s'entourant de son alter ego Mathieu Amalric et de Benicio del Toro, Arnaud Desplechin nous livre une passionnante psychanalyse cinématographique de James Picard, vétéran amérindien de la Seconde Guerre mondiale, en proie à des troubles psychologique, par l’ethnologue Georges Devereux.

James Picard (Benicio del Toro)

  Ce qui frappe tout d'abord, c'est le changement de ton par rapport aux précédents longs-métrages de Desplechin. Là où le cinéaste s'employait à des récits complexes et choraux, multipliant les effets de montage et usant d'une mise en scène sur le vif, il filme, dans Jimmy P., de manière plus épurée, plus apaisée, plus classique aussi. Certes, les thèmes chers au réalisateur se retrouve dans Jimmy P. : omniprésence de la mort, passé problématique, importance de la famille, etc. Avec le même talent que dans Esther Kahn ou Rois et Reine, Desplechin fait preuve d'une très grande introspection et empathie avec ses personnages. Cependant, le cinéaste perd quelque peu en inventivité et originalité. En s'attachant trop à la relation entre les deux personnages, Desplechin en oublie de souligner ces rapports humains par la mise en scène. Parfois, le dialogue prend le dessus au détriment de la forme. Heureusement, certains passages révèlent une inspiration toujours présente, à l'image des très belles scènes de rêve. Et c'est finalement en filmant la solitude des personnages que Desplechin réussit le mieux. En séparant Georges Devereux et James Picard, Desplechin met en exergue le besoin de l'autre. Les deux ne s'inscrivent pas forcément dans un rapport médical, mais dans un besoin mutuel d'humanité. Tous les deux étrangers, Devereux et Picard trouvent en l'autre une oreille attentive, un refuge, un apaisement des tensions, aussi bien pour l'un que pour l'autre. C'est cela que montre le film : le chemin de la guérison est aussi celui de l'amitié. Dans une psychanalyse à double sens, ces deux îlots, en marge de la société, bâtissent une relation non plus de médecin à patient mais d'égal à égal. 

Georges Devereux (Mathieu Amalric) et James Picard (Benicio del Toro)
 

   C'est alors que la mise en scène de Desplechin délaisse l’esbroufe pour aller vers une neutralité de bon aloi. La caméra du cinéaste suit Devereux et Picard dans une forme de pudeur, s'abandonnant à l'histoire et non plus à la morale. Desplechin ne vient jamais donner de leçon ou imposer des dogmes (du genre « la guerre fait des dégâts chez les hommes »). Ce n'est pas ce qui l'intéresse. Comme toujours, Desplechin est du côté des personnages, un peu moins de celui de l'intrigue. Finalement, la psychanalyse ne devient plus qu'un prétexte. Elle n'est que la structure d'une relation incongrue, entre la vieille Europe et l'Amérique originelle. Mais cet effacement s'avère problématique quand il s'agit de donner à l'ensemble un caractère universel. A trop s'enfermer sur ses deux personnages, Desplechin en oublierait presque le spectateur qui peut parfois se sentir extérieur au film. Nous sommes en empathie absolue avec ces deux héros, mais il demeure comme un flou quant à leur contextualisation. Desplechin n'inscrit pas assez son histoire dans l'Histoire, ce qui aurait donné une perspective supplémentaire au film.

   Jamais ennuyeux, Jimmy P. réussit ce pari de nous intéresser à une intrigue tournant autour de la psychanalyse. Bien plus qu'un simple cours de psychanalyse, le film, porté par deux acteurs inspirés au jeu toujours juste, séduit par sa sincérité et la sympathie indéniable que porte le cinéaste sur ses personnages. Certes, Desplechin perd en chemin de son originalité pour se tourner vers un certain classicisme, mais jamais académique. On présent que ce film marque la fin d'un cycle dans la filmographie d'Arnaud Desplechin. Le réalisateur y semble plus serein, moins tourmenté qu'avant. Ce film pourrait bien être une psychanalyse personnelle, comme si Desplechin cherchait, tout comme Jimmy Picard, à se débarrasser de ses démons pour explorer un langage plus apaisé. Affaire à suivre... 

Adrien V. 

  

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