mercredi 25 septembre 2013

Tip Top - Serge Bozon


Réalisé par Serge Bozon
Écrit par Serge Bozon, Odile Barski et Axelle Ropert
Librement adapté du roman éponyme de Bill James
Festival de Cannes 2013 - Quinzaine des réalisateurs
Prix SACD - Mention spéciale
Avec : Isabelle Huppert, Sandrine Kiberlain, François Damiens, ...
1h46
Sortie : 11 septembre 2013

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Sortie de route
 
   Cette année, la Quinzaine des réalisateurs aura eu l'apanage de l'étrangeté, du surréalisme haut perché, mais aussi de la jeunesse (pas moins de huit films sur dix-neuf étaient des premiers). La Caméra d'or se trouvait dans le tas avec Ilo Ilo d'Anthony Chen. Les organisateurs de cette sélection parallèle ont joué la carte de la nouveauté, contraste heureux avec le stoïcisme de la Compétition. Après l'extraordinaire La Fille du 14 juillet d'Antonin Peretjatko, le biographique La Danza de la realidad d'Alejandro Jodorowsky, avant l'étonnant Les Garçons et Guillaume, à table ! de Guillaume Gallienne, voici que nous parvient tout droit de l'espace « l'ovniesque » Tip Top. Six ans après La France, l'atypique Serge Bozon nous revient avec cette comédie qui ne saurait trancher entre l'absurde, l'illogisme et l'irrationnel.

   Essayons de résumer tout cela (essayons !). Esther (Isabelle Huppert) et Sally (Sandrine Kiberlain), deux inspectrices de l'IGPN, mènent l'enquête dans un commissariat à la suite du meurtre d'un indic d'origine algérienne. Tandis que l'une s'adonne à un sado-masochisme complice avec son mari, l'autre n'éprouve du plaisir que dans le voyeurisme. Puis ajoutez à cela un drôle de flic, Robert Mendes (François Damiens, décidément génial ad vitam aeternam). Après, dépatouillez-vous avec ça ! Nous, nous renonçons à poursuivre ! Vous l'aurez compris, résumer Tip Top est une entreprise fastidieuse ! On raconte que sur le plateau de tournage, les acteurs n'avaient toujours rien compris à l'histoire. C'est qu'au fond, l'histoire n'est qu'un prétexte. Au final, il ne subsiste qu'un monde incohérent dans lequel il faut accepter de se perdre. Serge Bozon ne fera pas de compromis et ira jusqu'au bout. C'est ce que l'on appréciera le plus dans le film : cette capacité d'assumer pleinement cet univers loufoque. Alors que le cinéma français s'enfonce dangereusement dans un naturalisme détraqué, Serge Bozon prend le risque de nous proposer sa propre écriture de la réalité. Il ne cherche pas à s'excuser de cela. Et si certains s'égareront en route, il aura su préserver ce rôle essentiel de l'artiste qu'est de nous faire percevoir le monde autrement.

Sally Marinelli (Sandrine Kiberlain) et Esther Lafarge (Isabelle Huppert)

   Mais à quel prix ? Faut-il, pour autant, faire n'importe ? Nous le sentons, Serge Bozon maîtrise parfaitement son sujet. C'est un bordel parfaitement organisé. Mais le gros défaut du film est de ne pas nous donner suffisamment de codes pour pénétrer cet univers. Il demeurera toujours comme un calque opaque entre le film et nous. Serge Bozon cherche cet inconfort chez le spectateur, cet effort d'acuité auquel nous ne sommes plus habitués au cinéma. C'est cela qui nous dérange le plus. Mais en scrutant bien, en donnant toute notre bonne volonté, nous n'y arrivons pas et ne décelons pas grand chose dans l'ensemble. Tout cela conduit à un profond sentiment de malaise. Le bras de fer film / spectateur conduit à une tension permanente sur tout le film. Au lieu d'être généreux avec nous, Serge Bozon semble nous défier à chaque instant. Il cherche à nous faire avaler le morceau en gros plutôt que de nous le distiller en petites bouchées. Nous frôlons l'indigestion. Pour un réalisateur, le plus important ne devrait pas être le film, mais le spectateur. Pour le coup, c'est raté !

Robert Mendes (François Damiens)

   Cependant, quelque chose nous empêche d'être vraiment méchant avec Serge Bozon. En effet, le cinéaste à un sens certain de la mise en scène et de la notion de cadrage. Chaque nouveau plan semble être une nouvelle proposition de cinéma. L'exploitation intelligente de la profondeur de champ donne, de manière paradoxale, une dynamique dans le hiératisme de la caméra. Notons la très belle lumière de Céline Bozon qui, part son irréalité et sa froideur, apporte une dimension angoissante au film. Toujours dans un entre deux, le film joue sur les distances. Serge Bozon s'approche à peine de ses personnages que déjà il s'en éloigne. Le cinéaste jouera constamment sur cette ambiguïté, nous livrant ainsi qu'une infime parcelle de ses personnages.


   Difficile donc de se faire un avis tranché sur Tip Top. Nous ne pouvons que saluer l'inventivité, la prise de risque, le jusqu'au-boutisme assumé. Cependant, le film, sans chaleur, est trop abscons pour être réellement apprécié. Serge Bozon s'enferme dans son film et gâche tout son talent de metteur en scène. Au final, le cinéaste se prend dans son propre piège : à vouloir nous perdre, c'est surtout le film qui s'est perdu. Tip Top ? Bof...

Adrien V.
  


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