mercredi 6 février 2013

Le grand retournement - Gérard Mordillat



Ecrit et réalise par Gérard Mordillat
Adapté de D'un retournement l'autre de Frédéric Lordon
Avec : Jacques Weber, Edouard Baer... 
1h17
Sortie : 23 janvier 2013

L'absurde critique

10/10 
POUR

Une fondée de pouvoir (Christine Murillo) se précipite vers un des patrons du CAC 40 (Antoine Bourseiller): la bourse s'écroule ! Le coupable ? Un trader (Edouard Baer) peu scrupuleux et trop gourmand. Pas de panique, une journaliste économique (Odile Conseil) minimisera les conséquences de cet effondrement car, c'est bien connu, les petits épargnants sont prêts à croire n'importe quoi. En attendant, on cherche un sauveur. Et on en trouve quatre : les banquiers Pater (Jacques Pater), Barbin (Jean-Damien Barbin), Franck (Franck De La Personne) et Weber (Jacques Weber). Ces mousquetaires modernes s'offusquent de voir leur luxueux mode de vie en péril. Ils décident donc d'aller voir le président (Elie Triffault) et son trop fidèle premier ministre (François Morel).

Adaptation d'une pièce de théâtre de Frédéric Lordon, D'un Retournement l'autre, ce film est une véritable surprise. Tout a été pensé par Gérard Mordillat afin d'illustrer son propos, des décors aux dialogues, en passant par les costumes et la mise en scène. Et le résultat est d'une efficacité percutante!

Les décors dépouillés annoncent l'ambiance du Grand Retournement: la finance ne s'encombre de rien, ni de sentiment ni de meuble ! L’entrepôt désaffecté qui constitue le lieu principal montre l'état de déchéance dans lequel les économistes entraînent la société. Presque un huis clos, le film est fermé sur lui-même, à l'image du monde de la finance. Même approche pour les costumes. Les personnages sont vêtus de la même manière. Cet univers est si normatif qu'il transforme ses habitants en clones interchangeables. 

Pour preuve, le conseiller du premier ministre (Benjamin Wangermée) est mis à la porte. Un autre personnage (Patrick Mille), habillé du même costume-cravate, prend alors sa place comme si de rien n'était.
Le choix de l'alexandrin pour les dialogues a également une signification très forte. L'univers des banquiers est coupé du monde réel. Ces dignes représentants de la finance ont développé leur propre langage à coup de CAC 40, d'OPA et d'achat call... Nulle lourdeur du à l'exercice de ce vers particulier. 
Le texte est d'une fluidité rafraîchissante. Autre coup de génie de Gérard Mordillat : une mise en scène atypique et éclairante sur la situation économique et politique actuelle. Ainsi quatre opulents banquiers se partagent un canapé trop étroit pour eux, comme le marché financier trop petit pour leurs monstrueux appétits. Ainsi le président suit le premier ministre, son conseiller et le ministre de l'intérieur (Thibaut de Montalembert) dans un labyrinthe comme un enfant craignant de se perdre.

Le seul regret à propos du Grand Retournement est sa longueur : il est trop court. Allonger son récit jusqu'à deux heures aurait été bénéfique au constat réaliste que dresse le réalisateur. Un constat annoncé par le sous-titre du film : « Qui sème la misère, récolte la colère ». Et nous pourrions reprendre le détournement de ce proverbe biblique pour le compte de Gérard Mordillat : qui sème le talent, récolte nos remerciements.


   Emilie D. (Papier et Pellicule)


2/10
CONTRE

Pour son nouveau film, Mordillat décide d’adapter une pièce de Frédéric Lordon, D’un retournement l’autre, une comédie sur la crise financière. Consternant.

Synopsis :  C’est la crise, la bourse dégringole, les banques sont au bord de la faillite, le crédit est mort, l’économie se meurt… Pour sauver leurs mises les banquiers font appel à l’État. L’État haï est soudain le sauveur ! Les citoyens paieront pour que le système perdure, que les riches restent riches, les pauvres pauvres. Adapté de la pièce de Frédéric Lordon cette histoire d’aujourd’hui se raconte en alexandrins classiques. C’est tragique comme du Racine, comique comme du Molière…

Mis à part les originalités de cet œuvre (dialogues écrits en alexandrins, huis clôt...), on n'en retiens malheureusement pas grand chose. Si ce n’est le sentiment d’avoir assisté à une pièce de théâtre filmée de quatre heures. Ou même de s’être endormi. Car la mise en scène (même si on ne peut pas vraiment en parler…) de Mordillat est un vrai somnifère. Son utilisation de l’espace marche passablement les premières minutes, mais très vite le spectateur ne sait plus quoi regarder. Tant les personnages « comiques » de la pièce ne disent rien, s’ennuie dans un décor dépouillé, laid, sans vie. On peut d'ailleurs rapprocher le début (les personnages sont présentés à l'écran en gros plan) du dernier film d'Alain Resnais, Vous n'avez encore rien vu. La différence est que Resnais est un vrai cinéaste. 

La présence d’Edouard Baer au générique est une petite blague malsaine. Car c’est peut être l’acteur qui s’en tire le mieux dans cette catastrophe (Jacques Weber est au fond du trou), mais c’est aussi celui que nous voyons le moins (cinq minutes). Cinq minutes sur soixante dix sept. Le cinéma français – politique – de nos jours, à bien plus à nous offrir qu’une telle stupidité. Le grand trou. N'y tombez pas.

Jeremy S.


Les banquiers (Jacques Weber tout à gauche)

[PS : Dédiée à deux grands amis ayant supporté avec moi cette terrible épreuve...]


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