samedi 25 mai 2013

La Grande Bellezza - Paolo Sorrentino



Réalisé par Paolo Sorrentino
Ecrit par Paolo Sorrentino et Umberto Contarello
Avec : Toni Servillo, Carlo Verdone, Sabrina Ferilli...
Festival de Cannes 2013 - Compétition officielle
2h22
Sortie : 22 mai 2013

-

La douleur de vivre


Paolo Sorrentino, habitué de la Croisette, revient cette année pour une quatrième visite et un cinquième long métrage, toujours avec son acteur fétiche et alter ego Toni Servillo (vu il n’y a pas si longtemps dans La Belle Endormie de Marco Bellochio). La projection Cannoise a partagé presse et public, certains y voyant un Huit et Demi du XXIème siècle, d’autres un infâme film publicitaire misogyne n’ayant pas sa place dans la compétition.

Ces deux visions de La Grande Bellezza sont pourtant chacune présente dans la mise en scène et le discours de Paolo Sorrentino. Quand Federico Fellini présentait à Cannes il y a plus de cinquante ans La Dolce Vita (1960), l’accueil était davantage positif essentiellement parce que beaucoup y voyaient un nouveau souffle, une entrée dans un cinéma moderne regorgeant d’idées novatrices dominantes sur le cinéma classique de la même époque. Le problème de Paolo Sorrentino est à l’évidence de venir après les grands maîtres italiens ayant fait l’unanimité avec leur approche se démarquant du reste de la production Italienne. De nos jours en France, il ne semble rester plus que Nanni Morretti ou Matteo Garrone comme grand cinéaste italien. Sorrentino, pourtant récompensé du prix du jury avec Il Divo en 2010, apparaît comme un cinéaste cancre pompeux et insupportable (cf This Must Be The Place, précédent film mal accueilli).

Revenons à La Grande Bellezza, film peut être le plus ambiguë de son auteur jusqu’à présent. Oublions un instant l’image de Sorrentino en France. La Grande Bellezza qui pourrait apparaître comme une œuvre maniériste ininventive au possible est en réalité tout l’opposé de l’échec tant attendu. Jep Gambardella, journaliste et écrivain à succès (comme le personnage de Marcello Mastroianni dans La Dolce Vita et Huit et Demi de Fellini), ayant écrit un roman dans sa jeunesse, traverse une grande période de dépression, dans la ville de Rome, au milieu de ses habitants et de ses personnalités les plus étranges. Jep est l’inverse d’un misanthrope, c’est un sexagénaire faisant des nuits blanches en parcourant Rome toutes les nuits, tout en se posant de grandes questions existentielles. 
Là où La Grande Bellezza diffère de La Dolce Vita, c’est bien dans sa représentation de l’Italie, au delà du désœuvrement dans une bêtise des plus folles. Si l’on doit établir une comparaison avec Fellini (et encore, cela est loin d’être nécessaire pour apprécier le film), c’est avec Roma (1972) que nous pouvons discerner le plus grand écho dans La Grande Bellezza. Sorrentino présente une Italie déchirée, désorienté, allant droit dans le mur. Mais aussi une Italie belle, par son architecture ou sa peinture, avec certains sites filmés à la Terrence Malick (de rapides travellings avant sous un soleil éblouissant).

Jep Gambardella (Toni Servillo)

L’aspect publicitaire critiqué du film trouve ainsi tout son sens : Sorrentino, par ce procédé, crée un onirisme d’une rare intensité nous faisant douter du sérieux de certaines scènes, tombant dans le grostesque absolu. On se souviendra, parmi les plus mémorables, celle de la fille nue se projetant la tête dans un mur ou encore l’arrivée d’une colonie de cygnes sur le balcon d’un palais. Grotesque est aussi l’approche de Sorrentino de l’Italie contemporaine. A la conférence de presse Cannoise, une journaliste a clairement énoncé le fait que La Grande Bellezza n’avait pas été apprécié dans son pays d’origine, les italiens n’y voyant qu’un portrait misogyne de leur société plutôt qu’une immense démarche artistique héritée des grands maîtres. Car le plus beau dans l’œuvre de Sorrentino est cette mise en scène chargée d’inspirations Fellinienne, en aucun cas maniériste envers Federico Fellini. L’apparition de La Sainte mangeant des racines, scène extrêmement provocatrice envers la religion, nous rappelle à l’évidence l’apparition de La Madone dans La Dolce Vita, scène qui avait entrainé de nombreuses plaintes de l’Eglise Italienne.

Le passé. La nostalgie de Jep Gambardella n’en finit pas d’étonner et sublime véritablement ce long récit éclaté. Jep repense aux femmes, en particulier au premier amour, ou à son dépucelage. La femme est elle aussi une figure importante de ce naufrage, et en aucun cas Sorrentino ne cherche à la mépriser, bien au contraire. Lorsque Ramona demande à Jep si il veut voir ses photos de facebook où elle pose nue, c’est le réseau social que critique Sorrentino, et expose ainsi Ramona  comme une victime. 
La femme est le souvenir, comme en témoigne ce premier amour. Le sexe ne résout également pas tout problème, et à un certain point devient lui aussi ennuyeux et déprimant (Jep Gambardella, après avoir couché avec plus d’une centaine de femmes ne ressent plus rien, et ne se souvient plus que de sa première fois). La première fois est la beauté même de notre vie entière, c’est d’ailleurs sur ce moment que Sorrentino choisit de clore La Grande Bellezza. Vision certes pessimiste d’une Italie en décadence, mais vision grandement artistique, similaire à celle d’Harmony Korine sur la jeunesse américaine dans Spring Breakers. La douleur de vivre dans la plus grande beauté, n’est-ce pas là magnifique paradoxe ? La Grande Bellezza, voyage au bout de la nuit inoubliable, est déjà dans la cour des grands. 

Jeremy S.


Ramona (Sabrina Ferrilli) et Jep (Toni Servillo)

Ramona (Sabrina Ferrilli) et Jep (Toni Servillo)


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire