lundi 20 mai 2013

Le Passé - Asghar Farhadi



Ecrit et réalisé par Asghar Farhadi
Avec : Bérénice Bejo, Tahar Rahim, Ali Mosaffa...
Festival de Cannes 2013 - Compétition Officielle
Prix d'Interprétation Féminine - Bérénice Béjo
2h10
Sortie : 17 mai 2013

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Un iranien à Paris


De retour après l'impressionnant Une Séparation  (2010) présenté à la Berlinale et couronné de l'ours d'or il y a deux ans, Asghar Farhadi, cinéaste iranien le plus populaire de ces dernières années fait cette fois son entrée au festival de Cannes, en compétition officielle. Intégralement tourné en France, Le Passé est un grand conte familial grandiose et émouvant, portée par un magnifique trio d'acteurs possédant un jeu d'une finesse et d'une justesse sidérante. 

L'iranien Ahmad (Ali Mosaffa) revient sur le territoire français après plus de quatre ans d'absence, à la demande de sa femme (Bérénice Bejo) pour procéder aux formalités de divorce. Ahmad découvrira alors la nouvelle vie de Marie avec son nouveau conjoint Samir (Tahar Rahim), ainsi que la situation de sa fille (l'aînée), adolescente proche du passage à l'âge adulte. Comme Une Séparation, le premier sujet du film est une nouvelle fois le divorce. Prétexte bien entendu pour établir un bilan des quatre ans qui se sont passés après le départ de Ahmad pour l'Iran, ayant eu le mal du pays. Ce qui intéresse Farhadi, ce n'est ni le conflit entre les deux hommes, ni le rétablissement du couple Marie/Ahmad. C'est tout simplement le passé, qu'il réinjecte petit à petit dans le présent au fur et à mesure des deux heures de film, sans précipitation ni rebondissements chaque minute.

Marie (Bérénice Bejo) et Samir (Tahar Rahim)

Ce n'est pas pour autant que la mise en scène d'Asghar Farhadi prédomine sur le fond que la forme : comme chez les Dardenne, Farhadi filme au plus près des corps, parfois fugitivement, parfois plus longuement. Il oppose la personnalité et le moral d'Ahmad à celui de Bérénice Bejo. Comme le traduit la première scène muette, il y a une séparation : la vitre de l'aéroport. L'interpénétration des deux univers différents va néanmoins ne s'effectuer que dans un seul sens : celui d'Ahmad va contaminer celui de Marie. Homme intelligent et sage, Ahmad va tenter de résoudre de multiples conflits qui vont se créer (comme celui d'entre Lucie, sa fille, et Marie, sa femme). Contre toute attente, la dispute tant attendue entre Ahmad et Samir n'éclatera jamais. Nous découvrons la nouvelle famille, nous spectateurs, au côté d'Ahmad, que nous pourrions voir comme un alter ego du réalisateur.

Le rôle féminin principal, tenu par Bérénice Bejo confirme ici depuis The Artist son incroyable talent. Rappelons que le rôle avait été attribué au départ à Marion Cotillard, qui pour cause de chevauchement de projets n'a pu être présente sur le tournage. Dans les films d'Asghar Farhadi, les acteurs sont au centre de la mise en scène et poussent le film vers des directions parfois surprenantes. Rendre intéressant au cinéma ce qui ne l'est pas dans la vie quotidienne n'a jamais été une tâche facile. C'est pourtant ce à quoi parvient Farhadi. 

En plus d'être un drame familial émouvant, Le Passé peut aussi être vu comme un grand film à suspense, à l'intrigue retorse nous captivant dans les magistrales scènes de haute tension. Farhadi l'avait déjà prouvé dans Une Séparation : filmer une dispute conjugale, par conséquent en donnant davantage d'ampleur à son scénario, est une chose qu'il maitrise. Sur ce terrain, on pense avant tout à Maurice Pialat (dans Nous ne vieillirons pas ensemble, le conflit conjugal est le véritable moteur du film). Mais Farhadi fait autrement que Pialat, même si il souhaite, comme lui, transmettre du réalisme ou donner de la crédibilité à ses scènes les plus dures : ses acteurs sont certainement moins poussés à bout que ceux de Pialat.


Samir, Marie, et Ahmad (Ali Mosaffa)

On pense certes a d'autres cinéastes, mais Farhadi venant à Paris (comme Abbas Kiarostami au Japon l'an dernier avec Like Someone In Love) adapte son sujet propre avec ses acteurs. Des acteurs qu'il apprend à connaître. Ne cachons rien : filmer au Moyen Orient est comme filmer sur une autre planète, et c'est ce qui parfois donne des films tape à l'oeil plus en rapport avec le contexte socio-politique du pays dans lequel ils sont tournés que le cinéma lui même, où la démarche artistique peut cruellement manquer. Avec Le Passé, Farhadi prouve encore une fois que n'importe où, avec des acteurs radicalement différents d'un film à l'autre, il parvient à son but : Ni plus ni moins qu'un drame familial. Jamais tire larme, jamais surjoué, mesuré au milligramme près. Grand auteur, grand film. Grande récompense, naturellement, nous pouvons espérer. 

Jeremy S.


Lucie (Pauline Burlet) face à Ahmad (Ali Mosaffa)



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